dimanche 26 février 2017

Une exposition à la Bibliothèque Mazarine

Nous regrettons de ne signaler qu’avec un retard bien trop grand la très belle exposition ouverte à la Bibliothèque Mazarine de Paris sur «Images et révoltes dans le livre et dans l’estampe (XIVe-milieu XVIIIe siècle)». L’exposition peut être visitée jusqu’au 17 mars à la Bibliothèque, mais elle a aussi donné lieu à une importante publication scientifique:
Images et révoltes dans le livre et dans l’estampe (XIVe-milieu XVIIIe siècle),
Paris, Bibliothèque Mazarine, Éditions des Cendres, 2016,
315 p., ill., index (ISBN : 978-2-86742-259-1).

Table des matières
Échos, silences et stéréotypes: les images de la révolte dans le livre et dans l’estampe, par Yann Sordet
Images et révoltes: quelques éléments d’introduction, par Tiphaine Gaumy
La révolte médiévale en images, par Vincent Challet et Jelle Haemers
Violences et révoltes au Moyen Âge, par Christiane Raynaud
Images et révoltes dans le Saint-Empire romain germanique de l’époque moderne, par Marion Deschamp
Se révolter au nom de Dieu en France: héroïsation, dérision et allégorie dans les estampes des XVIe et XVIIe siècles, par David El Kenz
La révolte des Pays-Bas à travers l’estampe: espaces contestés et formation de l’identité, par Ramon Voges
Iconographie populaire de l’antipapisme anglais (XVIe-XVIIe siècle), par Stéphane Haffemayer
La Fronde en images, par Jean-Marie Constant
Quelques ouvrages de la «fronde des mots»: les mazarinades, par Christophe Vellet
Images et révoltes dans le monde méditerranéen (XIVe-XVIIe siècle), par Alain Hugon
L’iconographie des «villes rebelles»: de l’Europe au royaume de France (1580-1640), par Émilie d’Orgeix
«Une espèce de langage (…)»: l’allégorie dans les révoltes religieuses et politiques en Europe au XVIIe siècle, par Pierre Wachenheim
Héros et anti-héros: représentations des élites ou du peuple?, par Serge Bianch
Liste des œuvres exposées
Liste des événements représentés ou évoqués
Bibliographie
Index nominum et locorum

La table en témoigne: il ne s’agit pas d’un catalogue au sens classique du terme, mais avant tout d’une série de quatorze études scientifiques reprenant pour l’essentiel les exposés présentés lors d’une journée d’études tenue à la Bibliothèque le 13 décembre 2016. Les textes richement illustrés s’appuient de manière privilégiée sur les cinquante-neuf pièces exposées. Les pièces elles-mêmes sont simplement indiquées sous la forme abrégée d’une série de notices catalographiques («Liste des œuvres exposées»).
Le propos articule histoire des troubles, représentation graphique et processus de médiatisation, le tout dans une perspective comparatiste entre les différents États européens, et selon une chronologie large –nous dirions volontiers, des prémices de la «première» à celle de la «deuxième révolution du livre», même si cette problématique n'est pas au cœur du propos.
La richesse du projet supposerait une analyse détaillée du contenu du volume. Bornons-nous, pour ne pas abandonner nos préoccupations du moment, celles relatives à la Réforme (voir aussi la contribution de Marion Deschamp), à nous arrêter sur la publication du «Grand fou luthérien», par le cordelier Thomas Murner, à Strasbourg chez Johann Grüninger en 1522 (Von dem grossen Lutherischen Narren wie in doctor Murner beschworen hat: VD16, M 7088, et plusieurs autres éditions).
Le modèle de Murner et de son éditeur est bien évidemment celui du Narrenschiff de Brant, dont au demeurant certains personnages  sont repris (le chevalier Peter, le docteur Griff, etc.). Mais le propos est désormais celui de mettre en évidence la filiation entre les positions défendues par Luther et la montée de troubles qui vont bientôt culminer dans la «révolte des paysans» (le Bundschuh).
L’une des gravures met en scène un fou en train d’attiser le feu sous une statue de sainte, et rappelle l’importance des phases d’iconoclasme dans une contestation qui mêle réforme religieuse et révolte (ou rénovation) sociale. Une autre, particulièrement efficace, représente Luther en capitaine des fous (Narrenhauptmann), assis devant un feu, en train de graisser une chaussure de paysan (regardée alors comme le symbole de la révolte). La légende précise l’objet: complaire aux hommes simples (einfältig) pour les abuser et les entraîner vers le mal. Soulignons pourtant  que Murnermet aussi en scène, avec cette image, les effets de la médiatisation moderne, en dénonçant implicitement la perversion d'un discours qui serait subverti par la volonté d'en faciliter la réception auprès du plus grand nombre.
On sait que, en définitive, le Réformateur, sollicité par les révoltés de Souabe eux-mêmes (Hauptartikel de 1525), adoptera une position beaucoup plus conservatrice s’agissant des problèmes relevant de l’ordre social et politique (Wider die stürmenden Bauern, 1525). Et il semble bien vraisemblable que les images  mettant en scène son attentition supposée à attiser la révolte l'ont poussé sur cette voie…

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