samedi 31 décembre 2016

Une exposition d'histoire du livre, à Lyon et à Leipzig

Il ne reste pas beaucoup de temps (jusqu’au 21 janvier 2017…) pour profiter de la très belle exposition proposée par la Bibliothèque municipale de Lyon sur les Impressions premières: la page en révolution, de Gutenberg à 1530. Nous regrettons de ne pas avoir signalé tout l’intérêt scientifique de cette manifestation ouverte depuis le 30 septembre dernier, mais nous avons préféré attendre de la découvrir personnellement à l’occasion d’un récent passage dans la préfecture du Rhône.
Face à la gare de Lyon Part-Dieu, la Bibliothèque de Lyon, son "silo à livres"... et son nouvel accès au public
Disons-le tout net: il faut féliciter grandement les responsables lyonnais, Gilles Éboli, qui dirige la Bibliothèque, et Jérôme Sirdey, responsable du fonds ancien, pour la réussite d’un projet aussi ambitieux. Il s’agissait en effet de reprendre le concept novateur de la «mise en texte» élaboré par Henri-Jean Martin, pour l’illustrer à partir d’exemples pris dans l’époque fondatrice qui est celle de la première révolution du livre. Dans quelle mesure l’irruption du nouveau média entraîne-t-elle un certain nombre de déplacements progressifs des dispositifs formels, de la mise en page à la mise en texte et à la mise en livre, pour imposer à terme une économie nouvelle du média, tout particulièrement pour ce qui regarde la lecture?
Nous avons trop souvent évoqué, sur ce blog, les problématiques liées à la révolution gutenbergienne, aux logiques de l’innovation, aux effets de l'essor progressif d’un marché du livre, etc., pour qu’il soit besoin d’y revenir plus longuement ici. L’exposition concentre sa présentation sur la forme matérielle du média, analysée à travers un nombre suffisamment limité de pièces pour ne pas «saturer» le visiteur.
La très grande richesse de la collection patrimoniale de la Ville de Lyon, encore accrue par le dépôt de l’ancienne bibliothèque jésuite des Fontaines à Chantilly, a d'abord posé aux organisateurs un problème de choix. La présentation s’ouvre précisément par un cahier de la Bible à 42 lignes appartenant aux Fontaines, mais qui provient apparemment de la région du Hainaut. Les «grands classiques» ne font pas défaut (les Chroniques de Nuremberg…), mais la Bibliothèque présente aussi la Rhétorique de Guillaume Fichet (1471), le Miroir de rédemption dans l’édition lyonnaise de 1479, l’édition florentine de l’Iliade en grec (vers 1488), sans oublier des pièces aussi exceptionnelles que le Petrus Romam non venisse de Velenius (1520)…
Les différents thèmes sont abordés, sur la base de l’analyse des blocs de composition: lignes, paragraphes, titres, illustrations, feuillets spécifiques (le titre et les autres composantes du paratexte), etc. L’exposition présente la problématique du choix des caractères et de leurs différents corps, mais aussi le rôle des blancs, les systèmes de repérage à l’intérieur du texte, ainsi que le dispositif que nous avons désigné comme celui de la pagina (la double page en vis-à-vis). Notre très regretté maître Henri-Jean Martin, disparu il y a précisément dix ans, aurait été heureux de pouvoir découvrir une exposition présentant la catégorie fondatrice dont il était l’inventeur; mais présentant aussi la bibliothèque dont il a été le premier concepteur, aujourd’hui plus grande bibliothèque de France en dehors de Paris; en même temps que l’histoire du livre à l’âge d’or d’une ville, Lyon, à laquelle il était resté très attaché. L’exposition s’ouvre fort justement par une vitrine consacrée à la figure du fondateur de l’histoire du livre «à la française».
Il faut signaler encore que l’exposition est accompagnée d’un livret de présentation (gratuit) de 18 p., et qu’elle a donné lieu à une publication scientifique de grande qualité:
Les Arts du texte. La révolution du livre autour de 1500,
dir. Ulrich Johannes Schneider,
Lyon, Bibliothèque municipale de Lyon, 2016,
223 p., ill. (dont 1 dépl.) (ISBN 978-2-900297-50-8).
Outre la présentation de la problématique générale et des différentes pièces exposées, le catalogue comprend plusieurs études scientifiques, dont un inédit d’Henri-Jean Martin («La naissance du livre moderne: un nouveau système de pensée»), et il se conclut par une bibliographie (peut-être, comme d'ailleurs l'ensemble de l'ouvrage, un peu trop dominée par la production allemande?) et par un glossaire. En somme, un titre destiné à devenir un usuel de travail. Beaucoup d’informations sont par ailleurs directement disponibles sur le site Internet de la Bibliothèque, ou par le biais de sa bibliothèque numérique (Numerilyo).
La manifestation a été organisée conjointement avec la Bibliothèque universitaire de Leipzig (Bibliotheca Albertina), ville capitale du livre, certes, mais surtout, en l'occurrence, ville avec laquelle Lyon est jumelée. Le choix a été fait, de ne pas déplacer les documents: la majorité des pièces figure dans les deux bibliothèques, d’autres ne sont qu’à Lyon, d’autres seulement à Leipzig (notamment les titres en allemand ou ceux illustrant la Réforme luthérienne). Notre passage il y a peu à Leipzig nous a permis de découvrir dans le tout autre environnement d'un bâtiment wilhelminien, ce second volet de l’exposition (avec une autre Bible à 42 lignes) et la publication conjointe du catalogue en allemand...

mardi 27 décembre 2016

Inventaire de fin d'année

Voici venu, en notre fin d’année 2016, le temps rituel des inventaires, et ces derniers concernent aussi l’histoire du livre en train de se faire…
Cf légende en bas de page
L’histoire du livre «à la française», développée notamment à partir de la publication de L’Apparition du livre de Lucien Febvre et Henri-Jean Martin (1), a d’abord été conduite par des historiens, lesquels ont privilégié la perspective de l’histoire économique et sociale. Dans le prolongement du classique de 1958, la thèse de doctorat sur Livre, pouvoir et société à Paris au XVIIe siècle démontrait la richesse de cette approche, et servait de matrice à un certain nombre de recherches postérieures, comme celles consacrées par Jean-Dominique Mellot au cas de Rouen (2).
Pourtant, si l’histoire économique et sociale était au cœur des travaux de l’«École des Annales», elle était aussi considérée par Lucien Febvre et par les héritiers de la Revue de synthèse comme devant contribuer à construire le socle d’une autre histoire, celle que l’on désignait alors comme l’histoire des idées et des mentalités. Reprenant le programme d’Henri Berr, Febvre explicite en ces termes l’objectif ultime de la recherche:
Inventorier d’abord dans son détail, puis recomposer pour l’époque étudiée le matériel mental dont disposaient les hommes de cette époque; par un puissant effort d’érudition mais aussi d’imagination, reconstituer l’univers, tout l’univers physique, intellectuel, moral, au milieu duquel chacune des générations qui l’ont précédé se sont mues… (3)
Ce schéma a tout particulièrement été mis en œuvre dans le champ de l’histoire du livre, lorsque l’on est passé de l’étude de la production et de sa branche d’activités (les imprimeries, les librairies et autres systèmes de distribution) à l’étude de la «consommation» des livres, alias de la lecture. L’histoire de la lecture a été d’abord abordée par le biais des études en partie appuyées sur la quantification: il s’agissait d’analyser le contenu des bibliothèques, dans la direction précocement ouverte par Daniel Mornet, ou encore de tracer la fresque d’une histoire de l’alphabétisation de la France dans le long terme (4).
Deux apports méthodologiques majeures sont en outre venus enrichir la réflexion en lui donnant une dimension interdisciplinaire: d’une part, les travaux d’une école de sociologie conduite par Pierre Bourdieu, avec notamment la publication de La Distinction; de l’autre, une perspective d’anthropologie historique, apportée par les recherches de Michel de Certeau, au premier rang desquelles son Invention du quotidien (5). La lecture n’est pas une simple question de contenu, mais aussi d’environnement, de capacités, de pratiques et de représentations. Plus récemment, l’histoire des bibliothèques, partie intégrante de l’histoire du livre et de la lecture, s’est développée dans la même orientation (6).
Enfin, Martin lui-même a ouvert à la «nouvelle histoire» du livre de la lecture une voie tout particulièrement originale, en l’articulant avec les apports de la bibliographie matérielle. Il avait été très frappé par la publication dans laquelle Wallace Kirsop montrait comment l’archéologie du livre imprimé permettait de revenir sur les catégories classiques d’édition, de texte et d’histoire des textes (7). La réflexion très novatrice de Kirsop, prolongée par Donald McKenzie, a inspiré en France des travaux aussi exemplaires que ceux consacrés par Alain Riffaud au XVIIe siècle des «grands classiques» (8). À la fois historien et bibliothécaire, c’est-à-dire praticien des livres (ce qui constitue une forme d’expertise devenue aujourd’hui bien trop rare), Martin a développé cette articulation pour aboutir à la catégorie nouvelle de la «mise en texte»: le contenu d’un livre ne saurait être une abstraction, mais il est construit et présenté à travers des ensembles complexes de dispositifs matériels qui se définissent les uns par rapport aux autres et qui sont eux-mêmes directement signifiants (9).
Inutile de préciser que la présentation trop brièvement proposée ici n’implique nullement, bien au contraire, que ces différentes approches soient les seules, encore moins qu’elles soient hermétiques les unes aux autres. Elles correspondent plutôt à une manière d’expérience, ou d’itinéraire personnel –à un inventaire, pour reprendre notre formule initiale. Il y aurait bien sûr beaucoup à dire sur les mutations des conditions de recherche induites depuis une génération par la montée en puissance des nouveaux outils informatiques. Mais nous terminerons en soulignant le fait que les années 1980 ont aussi été marquées, pour les historiens du livre, par un autre processus d’ouverture de leur paradigme scientifique.
En effet, l’histoire du livre en tant que discipline relevant du domaine des sciences humaines, s’était d’abord moulée dans le cadre général d’une histoire «nationale». La publication de l’Histoire de l’édition française a fait date, en ce qu’elle marquait l’aboutissement accompli d’un travail scientifique très riche, au moment même où son cadre de référence commençait à s’élargir, et où la validité de certaines catégories reçues a priori («nation», «peuple», voire «populaire», etc.) devenait plus évidemment problématique. Notre recherche s’est peu à peu ouverte aux expériences étrangères, par le biais du comparatisme, par l’invention de concepts nouveaux (comme celui de «transferts culturels» (10)), ou encore par l’apport de réflexions théoriques élaborées ailleurs… et si possible indépendamment des effets de mode.

Légende de l'ill.: Carl Siptzweg (1808-1885), Der Bücherwurm (Le rat de bibliothèque, ou Le bibliothécaire), 1850. Détail, et cliché inversé pour s'adapter à notre mise en page.
Notes
1- Lucien Febvre, Henri-Jean Martin, L’Apparition du livre, 3e éd., postface Frédéric Barbier, Paris, Albin Michel, 1999 (« Bibliothèque de l’Évolution de l’humanité »).
2- Henri-Jean Martin, Livre, pouvoir et société à Paris au XVIIe siècle (1598-1701), 1ère éd., Genève, Droz, 1969, 2 vol. Jean-Dominique Mellot, L’Édition rouennaise et ses marchés (vers 1600-vers 1730): dynamisme provincial et centralisme parisien, préf. Henri-Jean Martin, Paris, École nationale des chartes, 1998 (« Mémoires et documents de l’École des chartes »).
3- Lucien Febvre, «La psychologie et l’histoire», dans Encyclopédie française, t. VIII (1938), repris sous le titre de «Une vue d’ensemble: histoire et psychologie» dans Combats pour l’histoire, Paris, 1953.
4- Daniel Mornet, «Les enseignements des bibliothèques privées, 1750-1780», dans Revue d’histoire littéraire de la France, 17, 1910, p. 449-496. Mornet reprendra cette méthodologie, en la développant, avec ses Origines intellectuelles de la Révolution française (1ère éd., Paris, Armand Colin, 1933). L’Alphabétisation des Français, de Calvin à Jules Ferry, dir. François Furet, Jaques Ozouf, Paris, Éd. de Minuit, 1977, 2 vol. («Le Sens commun»).
5- Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éd. de Minuit, 1982 («Le sens commun»). Michel de Certeau, L’Invention du quotidien, 1: arts de faire, 1ère éd., Paris, Gallimard, 1980 (le deuxième volume sera publié de manière posthume en 1990).
6- Frédéric Barbier, Histoire des bibliothèques, d’Alexandrie aux bibliothèques virtuelles, 2e éd. rev. et augm., Paris, Armand Colin, 2016 («Collection U»). On pourrait aussi penser à l’histoire des systèmes de classement et des catalogues : cf notamment De l’argile au nuage. Une archéologie des catalogues (IIe millénaire av. J.-C.-XXIe siècle), dir. Frédéric Barbier, Thierry Dubois, Yann Sordet, Paris, Bibliothèque Mazarine, Éd. des cendres; Genève, Bibliothèque de Genève, 2015.
7- Wallace Kirsop, Bibliographie matérielle et critique textuelle: pour une collaboration, Paris, Les Lettres modernes, 1970.
8- Donald Francis McKenzie, La Bibliographie et la sociologie des textes, trad. fr., Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 1991. Alain Riffaud, La Ponctuation du théâtre imprimé au XVIIe siècle, Genève, Droz, 2007 («Travaux du Grand Siècle»). Id., Répertoire du théâtre français imprimé entre 1630 et 1660, ibid., 2009. Id., Une Archéologie du livre français moderne, préf. Isabelle Pantin, ibid., 2011. Mais on se reportera aussi aux nombreux articles d’Alain Riffaud, dont tout récemment: «Jean Ribou, le libraire éditeur de Molière», dans Histoire et civilisation du livre, 2014, X, p. 315-363. Il ne faudrait pas négliger ici le rôle de Jeanne Veyrin Forrer, dont un certain nombre d’articles est réuni dans le recueil La Lettre et le texte. Trente années de recherche sur l’histoire du livre, Paris, École normale supérieure de jeunes filles, 1987.
9- Les deux titres fondateurs sont bien évidemment: Mise en page et mise en texte du livre manuscrit, dir. Henri-Jean Martin, Jean Vezin, Paris, Cercle de la librairie, Promodis, 1990. Henri-Jean Martin, Mise en page et mise en texte du livre français. La naissance du livre moderne (XIVe-XVIIe siècle), Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 2000.
10- Michel Espagne, «Transferts culturels et histoire du livre», dans Histoire et civilisation du livre, 2009, V, p. 201-218.

mardi 20 décembre 2016

Conférences d'histoire du livre

François Guizot, par Nadar (détail)
Les conférences du début de l’année 2017
en histoire du livre (9 janvier-2 février)


Lundi 9 janvier 2017, 16-18h
Conférence d’histoire et civilisation du livre, École pratique des Hautes études
Nouvelles recherches sur la Nef des fous (1),
par Monsieur Frédéric Barbier, directeur d’études

Jeudi 12 janvier, 17-19h
Labex TransferS, École normale supérieure.
Lire et écrire la Révolution française au Brésil au XIXe siècle: le cas de François Guizot (1). La réception de la Révolution française dans l’historiographie brésilienne : problématiques, approches et perspectives d’investigation,
par Madame Marisa Midori Deaecto, professeur à l’Université de Sao Paulo, professeur invitée à l’École normale supérieure (Labex TransferS)
Attention: pour cette conférence, voir la note en bas de page

Lundi 16 janvier, 16-18h
Conférence d’histoire et civilisation du livre, École pratique des Hautes études
Nouvelles recherches sur la Nef des fous (2),
par Monsieur Frédéric Barbier, directeur d’études

Jeudi 19 janvier, 17-19h
Labex TransferS, École normale supérieure, 
Lire et écrire la Révolution française au Brésil au XIXe siècle : le cas de François Guizot (2). Pour quoi le cas François Guizot ? Fortune éditoriale de De la démocratie en France dans le cadre des Révolutions de 1848,
par Madame Marisa Midori Deaecto, professeur à l’Université de Sao Paulo, professeur invitée à l’École normale supérieure (Labex TransferS)
Attention: pour cette conférence, voir la note en bas de page

Lundi 23 janvier, 16-18h
Conférence d’histoire et civilisation du livre, École pratique des Hautes études
Les Bibliothèques brésiliennes: une introduction historique,
par Madame Marisa Midori Deaecto, professeur à l’Université de Sao Paulo

Jeudi 26 janvier, 17-19h
Labex TransferS, École normale supérieure
Lire et écrire la Révolution française au Brésil au XIXe siècle: le cas de François Guizot (3). Lire et traduire François Guizot au Brésil: genres et paratextes éditoriaux,
par Madame Marisa Midori Deaecto, professeur à l’Université de Sao Paulo, professeur invitée à l’École normale supérieure (Labex TransferS)
Attention: pour cette conférence, voir la note en bas de page

Vendredi 27 janvier, 15h30
Institut de France, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres
Réception de la Nef des fous (Das Narrenschiff) aux XVe et XVIe siècles,
par Monsieur Frédéric Barbier, directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études, directeur de recherche au CNRS (IHMC/ENS Ulm) 

Lundi 30 janvier, 16-18h
Conférence d’histoire et civilisation du livre, École pratique des Hautes études
Les Indiens du Nouveau Monde : récits, fêtes, œuvres d’art (XVIe-XXe siècle),
par Madame Marisa Midori Deaecto, professeur à l’Université de Sao Paulo

Jeudi 2 février, 17-19h 
Labex TransferS, École normale supérieure
Lire et écrire la Révolution française au Brésil au XIXe siècle : le cas de François Guizot (4). Monarchie et Démocratie : les dialogues France-Brésil, d’après les considérations de François Guizot et de Justiniano José da Rocha,
par Madame Marisa Midori Deaecto, professeur à l’Université de Sao Paulo, professeur invitée à l’École normale supérieure (Labex TransferS)
Attention: pour cette conférence, voir la note en bas de page

Adresses des conférences
École pratique des Hautes Études, 190 avenue de France, 75013 Paris (1er étage).
École normale supérieure, 45 rue d’Ulm, 75005 Paris (salle de l’IHMC, esc. C, 3e étage).
Institut de France, Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 23 quai de Conti, 75006 Paris.

Note importante. Pour des raisons de capacité de la salle et de sécurité des bâtiments de l’École normale supérieure, l’assistance aux conférences tenues par Madame Marisa Deaecto dans le cadre du Labex TransferS est soumise à inscription préalable.
Les auditeurs sont invités à s’inscrire pour chaque séance, exclusivement par courriel, à l’adresse Internet suivante: frederic.barbier@ens.fr. Un accusé de réception leur sera envoyé en retour, et les réservations seront prises dans l’ordre chronologique des inscriptions. Nous vous remercions de votre compréhension.

dimanche 18 décembre 2016

Histoire du livre et histoire du droit: le privilège en 1516

Nous voici au cœur de l'Europe, autour de 1500.
La situation politique du Saint-Empire est très particulière, dans la mesure où il s’agit d’une manière de confédération de territoires soumis à des entités variées: des principautés, des villes libres, des institutions ecclésiastiques (abbayes ou autres), etc., le tout «coiffé» par une instance supérieure, celle de l’Empereur… lequel est à la fois un souverain théoriquement élu, mais aussi dans le même temps un prince territorial.
Hérité de l’époque carolingienne, le statut de l’Empereur est unique, en ce qu’il est la seconde «tête» de la chrétienté. En principe, le pape a le pouvoir spirituel (ce qui ne l’empêche pas d’être aussi un prince territorial) et l’empereur, le pouvoir temporel. Pour autant, dans une conjoncture générale combinant territorialisation (le pouvoir politique doit être assis sur un territoire déterminé) et modernisation des structures de l’État, la suprématie impériale est contestée non seulement à l’extérieur, mais aussi dans l’Empire même. L’Empereur cherche à mettre en place une administration plus unifiée, mais il se heurte souvent à l’opposition des «États» (Reichsstände) participant à la Diète (Reichstag) et comme tels constitutifs de l’Empire.
Cette problématique joue aussi dans le domaine du livre et de l’imprimé, lorsque les professionnels cherchent à obtenir des autorités les privilèges qui protégeront peu ou prou leurs investissements. Bien évidemment, ces privilèges n’ont de valeur que sur le territoire soumis à l’autorité qui les émet: d’où l’intérêt, dans une structure aussi dispersée que peut l’être l’Allemagne à la Renaissance (en même temps le premier producteur de livres en Europe), de faire appel à une autorité supérieure, celle de l’Empereur, dont certains actes s’appliquent partout à l’intérieur des frontières de l’Empire. Le privilège de librairie y daterait du tournant du XVe au XVIe siècle, avec celui accordé à la Sodalitas rhenana Celtica pour l’édition de Hroswitha von Gandersheim par Conrad Celtis à Nuremberg. Les privilèges impériaux se multiplient dans les premières décennies du XVIe siècles mais, si leur octroi fait partie des droits propres (Reservatrechte) de l’Empereur, les princes territoriaux, voire certains Magistrats urbains ne tardent pas à imiter celui-ci: ainsi, après l’évêque de Bamberg, du duc de Bavière, du duc et de l’électeur de Saxe, ou encore du Magistrat de Leipzig.
Le privilège est octroyé au libraire, à l’imprimeur ou à l’auteur. Or, l’édition du Nouveau Testament (Novum Instrumentum) par Érasme chez Johann Froben à Bâle en 1516 permet de revenir sur cette problématique. Deux exemplaires de l’ouvrage sont précisément présentés dans le cadre de la superbe exposition «Impressions premières» organisée par la Bibliothèque municipale de Lyon, tandis qu’un colloque passionnant tenu à la Sorbonne vient de lui être consacré.
Il est logique que Johann Froben, qui a donné l’édition, ait voulu protéger son investissement en prenant un privilège impérial: le grand libraire-imprimeur a mis des moyens considérables à la disposition d’Érasme pour réaliser la préparation du texte, et il a dû engager des sommes importantes tant pour la composition (les fontes latines, et surtout grecques) que pour le papier (les 1200 exemplaires auxquels aurait été tirée notre première édition). Rappelons en outre que Froben lui-même est sujet impérial: il est né vers 1460 dans la petite ville de Hammelburg, au nord de Wurtzbourg (sur les territoires de l’abbaye de Fulda). Il vient d’abord à Bâle comme étudiant, avant de s’y établir à demeure, et la ville elle-même de Bâle, ralliée à la Confédération des cantons suisses en 1501, restera pourtant formellement partie du Saint-Empire jusqu’aux traités de Westphalie (1648). Or, le libraire pense que l’essentiel de son marché est situé dans cette géographie.
Le privilège octroyé par Maximilien vaut pour quatre ans, et interdit aussi bien la publication d’éditions concurrentes à l’intérieur de l’Empire que l’importation d’éventuelles contrefaçons venant de l’étranger. Le privilège est mentionné au titre, dans un dispositif calqué sur celui de l'épigraphie romaine, mais le texte lui-même n’en est pas imprimé dans le volume. On remarquera que la deuxième édition bâloise (1519) ne porte plus de privilège impérial, mais qu’elle s’ouvre par la lettre de recommandation du pape Léon X. Il est au demeurant possible que la décision de Froben de donner une nouvelle édition du texte précisément en 1519 relève, certes, de la volonté d’y inclure les améliorations apportées par l’auteur et de barrer la concurrence, mais aussi du souci de se protéger alors même que le privilège impérial arrive à son terme…
Il y aurait encore bien des choses à dire sur l’édition de 1516, notamment sur sa «mise en livre», sur les éléments du paratexte et sur les rapports entre le texte principal (sur deux colonnes) et les Annotationes (le commentaire, qui se présente à longues lignes). Signalons que les richesses considérables conservées par la Bibliothèque de Lyon lui permettent précisément d'exposer deux exemplaires de cette édition en vis-à-vis, mettant ainsi en regard le texte et le commentaire correspondant... Nous pourrions aussi revenir sur les éditions successives du Nouveau Testament d'Érasme publiées jusqu’à la mort de celui-ci (1536), voire sur la réception de l’ouvrage, à travers notamment certaines particularités des exemplaires aujourd'hui conservés. Mais attendons, en l’occurrence, la publication prochaine des Actes du colloque Le Nouveau Testament d’Érasme: regards sur l’Europe des humanistes

vendredi 16 décembre 2016

Nouvelle publication (Histoire et civilisation du livre. Revue internationale)

Histoire et civilisation du livre. Revue internationale,
Genève, Librairie Droz

XII (2016), 500 p., ill., index

ISBN 9 782600 047487 

Le Mascurat de 1649. Exemplaire en feuilles (© Bibliothèque Mazarine)
Mazarinades, nouvelles approches
Stéphane Haffemayer, Patrick Rebollar, Yann Sordet, «Introduction» 

Fonds et collections
Bruno Blasselle, Séverine Pascal, «Le fonds des Mazarinades de la Bibliothèque de l’Arsenal»
Anders Toftgaard, «La collection de Mazarinades de la Bibliothèque royale de Copenhague»
Christophe Vellet, «Les Mazarinades à l’affiche? Armand d’Artois et la collection de la Bibliothèque Mazarine»
Laurent Ferri, «Inter folia venenum. Les collections de Mazarinades aux États-Unis (1865-2014)»
Tadako Ichimaru, «Enjeux de la numérisation des Mazarinades» 

Production typographique, diffusion éditoriale
Fabienne Queyroux, «“Plumes bien taillées” contre “Livres très pernicieux à l’État”: Gabriel Naudé et les Mazarinades»
Chloé Kürschner, «Les imprimeurs rouennais et la Fronde: une étude des fonds normands de Mazarinades»
Jean-Dominique Mellot, Pierre Drouhin, «Les Mazarinades périodiques: floraison sans lendemain, ou tournant dans l’histoire de la presse française?» 

Approches littéraires et lexicologiques
Takeshi Matsumura, «Remarques lexicographiques sur le Mot “Mazarinade”»
Patrick Rebollar, «Mensonge et tromperie dans les Mazarinades»
Antonella Amatuzzi, «La politique au service de la langue: la valeur des Mazarinades pour l’étude du français classique»
Claudine Nédelec, «La Fronde, une guerre comique?»
Alain Génetiot, «Porter la parole des grands: les Mazarinades de Sarasin»
Myriam Tsimbidy, «Usages des Mazarinades dans les Mémoires de la Fronde» 

La bataille de l’imprimé: médiatisation et communication politique
Malte Griesse, «Les soleils de la Fronde: analogies stellaires dans les Mazarinades»
Stéphane Haffemayer, «Mazarin face à la Fronde des Mazarinades, ou Comment livrer la bataille de l’opinion en temps de révolte (1648-1653)»
Caroline Saal, «“Faire voir par l’histoire” dans les Mazarinades. Usages du passé, entre rhétorique et bagages culturels»
Francesco Benigno, «The fate of Goliath: uses of history in the Mazarinades»
Yann Rodier, «Les Mazarinades génovéfaines et la stratégie politique de l’odieux (avril-septembre 1652)»
Véronique Dorbe-Larcade, «Autour des ducs d’Épernon, l’école de la Mazarinade (1588-1655)»
Éric Avocat, «Les Mazarinades, une préface à la Révolution?»

Approches comparatives: les corpus pamphlétaires européens du XVIIe siècle
Sophie Nawrocki, «Les dynamiques de publication et la diffusion des pamphlets autour de Marie de Médicis en exil (1631-1642)»
Alain Hugon, Mathias Ledroit, «La bataille de l’imprimé en Catalogne à L’époque de la Guerre de séparation (1640-1652)»
Héloïse Hermant, «Les campagnes pamphlétaires de Don Juan José de Austria: des Mazarinades espagnoles? Politisation de l’écrit et système de communication dans l’Europe du XVIIe siècle» 

Études d’histoire du livre
Xavier Prévost, «Aux origines de l’impression des lois: les Actes royaux incunables»
Claire Gantet, «Amitiés, topographies et réseaux savants. Les Strasburgische Gelehrte Nachrichten (1782-1785) et la République des Lettres»
Daniel Baric, «La dualité nationale et universitaire des bibliothèques de Strasbourg et Zagreb : une histoire parallèle entre empires, nations et régions» 

Livres, travaux et rencontres
Jean Balsamo, L’Amorevolezza verso le cose italiche. Le livre italien à Paris au XVIe siècle (Amélie Ferrigno)
De l’argile au nuage : une archéologie des catalogues (IIe millénaire av. J.-C - XXIe siècle) (Claire Madl)
Michael Embach, Hundert Highlights. Kostbare Handschriften und Drucke der Stadtbibliothek Trier (Frédéric Barbier)
Claudia Fabian, dir., Die Handschriftliche Erbe der griechischen Welt [Actes du colloque de la BSB] (Matthieu Cassin)
Annika Haß, Der Verleger Johann Friedrich Cotta (1764-1832) als Kulturvermittler zwischen Deutschland und Frankreich (Claire Gantet)
Anthologie de documents à caractère biographique conservés à la Bibliothèque de Shanghai (Chen Jie)
Oberthür, imprimeurs à Rennes (Frédéric Barbier) 

Index (personnes, lieux, institutions) du dossier thématique «Mazarinades, nouvelles approches»
Table des illustrations.

dimanche 11 décembre 2016

Conférence d'histoire du livre

Troisième marque de Josse Bade, Sylvestre 774, années 1529 et suiv;

École pratique des hautes études, IVe section

Conférence d'histoire et civilisation
du livre




Lundi 12 décembre 2016

16h-18h

Le livre et la Réforme: retour sur un séminaire et projet d'exposition  (3)

par 
Monsieur Frédéric Barbier,
directeur d'études

Nota La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. (190 avenue de France, 75013 Paris, 1er étage).
 
Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles
modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas,
comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier
quand vous la consultez).


jeudi 8 décembre 2016

Colloque anniversaire sur Érasme


 La célébration du 500e anniversaire de l’édition du Novum Instrumentum fournit l’occasion de revenir sur la portée de cet événement éditorial, sur sa signification dans le monde des humanistes, et sur son apport à la construction de la figure d’autorité incarnée par Érasme dans l’Europe savante. Sylvana Seidel Menchi, qui prépare actuellement plusieurs travaux sur ce thème, nous aidera à faire le point sur une recherche foisonnante et sur les pistes fécondes qui s’offrent aux historiens.

© Bibliothèque municipale de Dole
Trois aspects seront particulièrement abordés lors de cette rencontre qui réunira chercheurs français et étrangers, historiens et littéraires spécialistes de l’humanisme.

1) Restituer les écritures ou corriger la Vulgate? Le projet humaniste
Nous savons que le travail de restitutio des textes antiques était au cœur des préoccupations intellectuelles des humanistes, de leur intérêt pour les langues anciennes et de leur quête fiévreuse des manuscrits anciens. Mais le rapport au texte biblique était aussi la source d’une forme de piété qui justifie le syntagme «humanisme chrétien». Entre les Annotations de Laurent Valla et le corpus des Paraphrases, quelle place occupe le Nouveau Testament de 1516 (et ses rééditions successives) dans le façonnement de la Philosophia Christi d’Érasme?
Sans minorer le caractère novateur de l’œuvre (la première édition offrant pour la première fois une version grecque du Nouveau Testament en regard de la version latine), il est aujourd’hui admis qu’Érasme visait moins à présenter une nouvelle traduction qu’à corriger la Vulgate. Les règles herméneutiques qui l’ont guidé seront à nouveau examinées et comparées tout particulièrement avec celles de l’autre figure marquante de l’humanisme évangélique: Jacques Lefèvre d’Étaples. Comment mieux comprendre ces grands humanistes à travers leurs méthodes philologiques ou exégétiques, et leurs querelles théologiques (cf l'Épître aux hébreux)? Quelles différences spirituelles et théologiques entre la Philosophia Christi d’Érasme et la Christiformitas de Lefèvre?
Pour mieux répondre à ces questions, il conviendra de s’intéresser aussi au cycle des œuvres patristiques qu’Érasme inaugure dès 1516. La parution simultanée du Nouveau Testament et des œuvres de saint Jérôme n’est pas fortuite, le labeur exégétique d’Érasme s’inspirant de la figure tutélaire de l’auteur de la Vulgate. Cette inspiration explique-t-elle l’audace intellectuelle d’Érasme qui, dans l’édition de 1516 du Nouveau Testament, supprime le comma johanneum? D’autres figures des pères de l’Église, comme Origène et Augustin, pourront être interrogées afin d’éclairer les débats scripturaires et théologiques contemporains.

2) Collaborer. Les réseaux savants d’Érasme
L’activité des humanistes ne se comprend pas sans prendre en compte leurs échanges quotidiens avec les imprimeurs-humanistes. Si l’édition du Nouveau Testament semble avoir été précipitée par les exigences de l’imprimeur Johannes Froben, elle ne constitue en rien une œuvre solitaire. D’autres collaborations savantes peuvent être saisies à travers notamment le commerce épistolaire au sein de la République des lettres (Érasme et Budé).
Comment s’organise ce travail collaboratif et son insertion dans les lieux de savoir (Bâle, Paris, Louvain, Alcala…)? Quelles concurrences se dessinent et selon quels motifs (par exemple entre les cercles patristiques parisiens et ceux du monde germanique)?

3) Transmettre et juger. La réception de l’œuvre
La publication du Nouveau Testament, à la fois séisme et succès éditorial, suscita engouement et hostilité. Comment cette réception différenciée s’opéra-t-elle selon les lectorats (des laïcs aux universitaires), les horizons culturels, géographiques et religieux? Une place privilégiée sera accordée au combat des censeurs d’Érasme, guidés par l’intransigeance d’une partie des docteurs de la Faculté de théologie de Paris. Au-delà de l’opposition connue entre humanistes et scolastiques, quel était le statut de la Vulgate pour ceux que les pratiques exégétiques d’Érasme scandalisaient?
Si la publication de 1516 visait un lectorat savant, pouvait-elle néanmoins ouvrir la voie à une nouvelle appropriation du texte biblique qu’Érasme aurait aimé faire partager aux simples, aux femmes et aux paysans? Ce dernier point conduira à s’interroger sur le voisinage entre l’œuvre d’Érasme et les aspirations religieuses à la Réforme au XVIe siècle.

Contacts
thierry.amalou@univ-paris1.fr
jean-marie.le-gall@univ-paris1.fr

Programme
Mardi 13 décembre 2016 Paris
Bibliothèque universitaire de la Sorbonne, Salle de formation

9 h 00 Accueil des participants et du public

9 h 30 Introduction     Thierry AMALOU (Université Paris 1, IHMC)
Le Novum Instrumentum d’Érasme: les enjeux de la critique biblique; la réception d’une œuvre majeure de la Renaissance

Restituer les écritures ou corriger la vulgate ? Le projet humaniste
9 h 50 Présidence de séance: Bernard ROUSSEL (directeur d'études émérite à l’EPHE)
1. Sylvana Seidel MENCHI (Université de Pise) Érasme et le Nouveau Testament, 1516 – 1535: le défi, le repli, l’expiation?
2. André GODIN (CNRS) Novum Instrumentum, Philosophia Christi: enjeux et mise en œuvre d’un humanisme biblico-patristique
3. Luigi-Alberto SANCHI (CNRS, Institut d’Histoire du droit) Guillaume Budé et la critique érasmienne du Nouveau Testament en latin
11 h 00 Discussion
11 h 30 Pause

Collaborer. Les réseaux savants d’Érasme
12 h 00 Présidence de séance: Isabelle PANTIN (ENS, IHMC).
4. Marie Barral-Baron (Université de Franche-Comté, LSH) Réseaux savants et travail collaboratif autour du Nouveau Testament d’Érasme
5. Jonathan Reid (East Carolina University) Les éditions fabristes de la Bible et Érasme

13 h 00 – 14 h 30 : Pause déjeuner

Transmettre et juger. La réception de l’œuvre
14 h 30 Présidence de séance : Frédéric BARBIER (EPHE, IHMC)
6. Christine Bénévent (École des Chartes) François Ier, lecteur d’Érasme
7. Alexandre Vanautgaerden (Bibliothèque de Genève) Éditer le Nouveau Testament à Bâle et à Genève (1491-1540)
15 h 30 Discussion
16 h 00 Pause

16 h 30 8. Malcom Walsby (Université de Rennes 2 , CERHIO) Les éditions du Nouveau Testament d’Érasme en France et leur diffusion
9. Gilbert Fournier (CNRS, IRHT) Érasme dans la bibliothèque personnelle de Louis Ber (1479-1554)
17 h 30 Discussion

18 h 00 Conclusions: Jean-Marie LE GALL (Université Paris 1, IHMC) 

(communiqué par les organisateurs du colloque)

samedi 3 décembre 2016

Conférence d'histoire du livre

École pratique des hautes études, IVe section
Conférence d'histoire et civilisation
du livre


Lundi 5 décembre 2016
16h-18h
Le livre et la Réforme: retour sur un séminaire
et projet d'exposition  (2)

par 
Monsieur Frédéric Barbier,
directeur d'études

Théodore de Bèze dédie ses Poemata à Melchior Wolmar
Parmi les institutions ayant facilité le transfert de la foi luthérienne des pays allemands vers la France, l’université d’Orléans occupe une place majeure. De fait, depuis le début du XIVe siècle (bulles de 1306 et de 1309), Orléans s’impose comme la principale université d'Europe, avec Bologne, où l’on enseigne le droit romain. Or, la possibilité, pour les jeunes gens, de faire une carrière profitable dans les administrations ou dans la justice (y compris au sein de l’Église) est de plus en plus soumise à la condition d’avoir reçu une formation dans ce domaine.
Du coup, les étudiants affluent, dont une proportion importante d’étrangers venus surtout de l’Europe du nord. La «Nation» de France est bien évidemment la plus importante, qui réunit tous ceux qui sont originaires du bassin parisien et des régions voisines, mais la «Nation germanique» s’impose comme la plus prestigieuse, de par la richesse et la qualité de ses membres. Regroupant les étudiants venus des pays allemands et de l’Europe médiane, mais aussi de la Suisse et des «anciens Pays-Bas», elle compte 940 membres pour la première moitié du XVIe siècle (et culminera à quelque 6200 pour la première moitié du XVIIe siècle). On sait qu’elle possède une bibliothèque exceptionnelle, mais elle entretient aussi un messager régulier avec les pays allemands, avec lesquels on échange correspondances, paquets (dont des livres) et nouvelles récentes. 
Bien entendu, le renouveau des études juridiques, au début du XVIe siècle, s’appuie aussi sur l’essor de l’humanisme, avec le recours à la tradition antique et aux textes originaux
Rien de surprenant si certains enseignants d’Orléans sont, eux aussi, originaires d’Allemagne. Nous avons déjà évoqué sur ce blog la figure de Melchior Rufus Wolmar (Volmar, Volckmar). Il est né en 1497 à Rottweil (Wurtemberg), mais a été élevé à Berne, où il fréquente l’école latine anciennement créée par Heinrich Heynlin de Lapide (Jean de La Pierre). Étudiant à Tübingen (1514), il y rencontre probablement Mélanchthon, avant de venir à Fribourg, puis à Paris en 1520. Dans la capitale du royaume, Wolmar, élève de Nicolas Bérauld (lui-même né à Orléans vers 1470), se forme au grec, puis il passe sa licence (1522) et commence à enseigner. Parmi les autres élèves de Bérauld, il a peut-être entrevu la silhouette d’un tout jeune homme, né à Orléans en 1509 et venu poursuivre sa formation en 1521 à Paris, à savoir Étienne Dolet.
Proche de Lefèvre d’Étaples, Wolmar travaille alors peut-être pour Gilles de Gourmont, lequel donne en 1523, son premier titre, un commentaire sur les deux premiers livres de l’Iliade. En 1527, le voici à Orléans, où il tient une école bientôt réputée. Deux ans plus tard, Wolmar est appelé par la duchesse de Berry, Marguerite d’Angoulême, pour enseigner le grec à Bourges. À Orléans comme à Bourges, sa maison devient un lieu de rencontre pour les étudiants allemands et suisses… dont le jeune Conrad Gessner en 1534. Mais, cette même année, l’Affaire des Placards pousse le royaume dans une tragique phase de répression de la Réforme naissante, et Wolmar part brutalement pour la Suisse, puis pour l’Allemagne (Eisenach et Tübingen). 

Bien entendu, le renouveau des études juridiques, au début du XVIe siècle, s’appuie aussi sur l’essor de l’humanisme, avec le recours à la tradition antique et aux textes originaux.
Parmi les étudiants venus à Orléans poursuivre des études susceptibles de leur assurer une carrière profitable, certains s’imposeront comme des grandes figures de l’humanisme et de la Réforme. Guillaume Budé (1467-1540) est un ancien d’Orléans, et Érasme se réfugie lui aussi à Orléans, en 1500, pour échapper à une épidémie de peste: il n’aura pas un jugement très favorable sur les enseignements, mais il descend, en ville, chez son compatriote Jacques Voecht, alias Tutor, originaire de Louvain, docteur en droit, et qui fera plus tard une carrière de magistrat à Anvers.
Pierre de l’Estoile compte parmi les maîtres les plus célèbres de la Faculté de droit. C’est notamment pour suivre son enseignement qu’un jeune Picard s’inscrit à l’Université en 1528: Jean Calvin (1509-1564), ancien des collèges de la Marche et de Montaigu à Paris, est destiné par son père à une carrière dans l’administration. Il a déjà rencontré Wolmar à Paris, il le retrouve à Orléans et il le suivra un temps à Bourges. Calvin est reçu docteur en droit à Orléans en 1533. Parmi ses amis, nous retrouvons le jeune Théodore de Bèze (1519-1605), pensionnaire et élève de Wolmar, qu’il suivra lui aussi à Bourges… Licencié en droit à Orléans en 1539, Théodore de Bèze se réfugie à son tour en Suisse à compter de 1548: il remerciera son maître en lui dédiant ses Poemata (Paris, Conrad Bade, pour Robert Estienne, 1548), et il lui adressera surtout la belle lettre liminaire figurant en tête de sa Confessio christianae fidei ([Genève], Jean Bonnefoy, 1560)… 

 
Nota: La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. (190 avenue de France, 75013 Paris, 1er étage).
 

Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).