jeudi 20 octobre 2016

Futurologie dans les années 1950

Avec ses Nouveaux discours du Dr O’Grady, André Maurois referme, chez Grasset en 1950, une aimable trilogie, commencée avec Les Silences du colonel Bramble dans les tranchées d’Artois et de Flandre pendant la Première Guerre mondiale, et poursuivie jusque dans les années d’après-guerre avec le personnage du docteur O’Grady. Le narrateur, Aurelle, se confond avec l’auteur lui-même: il a servi comme interprète auprès des troupes anglaises dans les années 1914-1918, et il s’y est fait un certain nombre d’amis très proches, pour lesquels il nous fait partager sa profonde sympathie. Le jeune docteur O’Grady est un médecin d’origine irlandaise, que nous retrouvons une génération plus tard comme un psychiatre reconnu, dont le cabinet est bien évidemment établi dans la célèbre Harley Street de Londres. Au fil des séjours du docteur à Paris, celui-ci apprécie de se retrouver avec son ami pour discuter confortablement sur les sujets les plus divers. La lecture, toujours agréable, ouvre à l’occasion des perspectives de futurologie qui intéressent aussi l’historien du livre, de l'informatique aux bibliothèques virtuelles et aux big data. Qu’on en juge: 
- Le docteur Vannevar Bush (…) a écrit un article révolutionnaire sur les procédés de travail du surhomme. Celui-ci aura demain à sa disposition des machines à calculer, et même à penser, si complexes, si parfaites, qu’elles le délivreront de tout le côté mécanique des mathématiques et de la logique. Elles seront les «femmes de ménage» du savant; elles résoudront en quelques minutes des équations comportant un nombre d’inconnues tel qu’une équipe humaine y passerait en vain des années. Le surhomme possédera des bibliothèques sur microfilm si réduites que tous les livres publiés depuis qu’il y a des hommes et [qu’ils] écrivent, tiendront (…) dans votre chambre. Le grand Larousse n’y sera pas aussi épais qu’une boîte d’allumettes. Chaque livre microfilmé aura son numéro de code. En formant ce numéro, vous ferez apparaître la page de titre sur un écran placé en face de votre bureau et, si vous désirez retrouver dans le volume un passage ou un renseignement, vous aurez devant vous des changements de vitesse qui vous permettront de faire passer une, dix ou cent pages à la minutes.
- Quelle horreur! (…).
- Ce n’est pas tout (…). Tous ces livres seront reliés entre eux par une machine à association d’idées qui mettra à votre disposition, en quelques secondes, si vous voulez faire, par exemple, une recherche sur le traitement du zona par les médecins tibétains ou sur le rôle de la pédérastie dans la fondation des empires, tout ce qui a jamais été écrit sur ces sujets capitaux (…).
- Êtes-vous sérieux, docteur? Et une telle machine est-elle concevable ?
- Mais naturellement. [Et] il y aura mieux. Le surhomme, quand il circulera dans son laboratoire, aura devant la bouche un (…) micro ambulant auquel il confiera ses observations; celles-ci seront, immédiatement et automatiquement, dactylographiées à distance, des cellules photo-électriques transformant les sons en signes; il aura sur le front un appareil photographique grand comme une olive, qui enregistrera sur des films minuscules ce que verra l’observateur. Ainsi, tout ce qui se dira et se passera dans le monde sera fixé et classé dans des bibliothèques de microfilms.
- De sorte que, docteur, rien ne se perdra plus; que le bienfaisant triage de l’oubli ne s’opérera plus; et que les archives de l’humanité iront s’enflant à un rythme accéléré, jusqu’au point où nul ne pourra plus les consulter utilement… 
Data center journaldugeek)

1 commentaire:

  1. impressionnante vision d'avenir ! Merci pour ce beau texte
    Blaise Wilfert-POrtal

    RépondreSupprimer