jeudi 26 mai 2016

Fondation d'une bibliothèque universitaire

À une soixantaine de km au nord de Bâle, la ville de Fribourg est fondée au début du XIIe siècle par les ducs de Zähringen, mais elle entre dès 1368 dans les possessions des Habsbourg et constitue dès lors la capitale de leurs territoires dans la région du Rhin supérieur. Le rattachement «autrichien» ne prendra fin qu’en 1806, lorsque Napoléon réorganise la géographie politique de l’Allemagne et crée, sur le Rhin, le nouveau grand-duché de Bade dans lequel Fribourg est désormais inclus. Il explique la fidélité de Fribourg à la fois au Saint-Empire et au catholicisme, dans une région où les premières décennies du XVIe siècle sont marquées par les progrès rapides de la Réforme, qu’il s’agisse de Bâle ou encore de Strasbourg. Pour autant, les relations ne seront pas toujours au beau fixe entre la ville, son Église et son suzerain.
La fondation d’un studium par l’archiduc Albrecht en 1448 prélude à celle de l’université proprement dite, en 1457 (l’autorisation a été donnée par une bulle de Calixte III en date de 1455). Cette «Université de l’Autriche antérieure» constitue un élément de la politique des Habsbourg, mais elle résulte aussi de la volonté de la ville de faire pièce à Bâle. Les privilèges octroyées par les différentes autorités témoignent de cet intérêt (l’université est une corporation bénéficiant d'une complète liberté). Le premier recteur est nommé, en la personne de Matthäus Hummel von Villingen.
À l'entrée de la chapelle de l'Université, dans la cathédrale de Fribourg: la leçon du loup.
Les débuts sont pourtant difficiles sur le plan matériel, faute de moyens financiers adéquats, et, lors de son ouverture effective, en 1460, l’université ne possède que la Faculté des Arts (Arts Libéraux), avec six chaires. La Théologie sera organisée en 1469, tandis que la Médecine et le Droit n’apparaîtront qu’à la fin du siècle. Ces problèmes expliquent aussi le relatif retard de Fribourg pour accueillir un prototypographe (en la personne de Kilian Fischer en 1491). Pourtant, le succès est rapide: l’université compte plus de 200 étudiants après quatre années seulement de fonctionnement. Elle est d’abord installée sur le flanc nord de la place des Carmes (Barfüßerplatz), près de l’église des Franciscains, puis déplacée en 1579 dans les deux immeubles qui ont ensuite abrité le nouvel Hôtel de ville.
Les protocoles de la Facultés des Arts montrent que très tôt on s’est inquiété d’avoir une bibliothèque. Il faut que tous les étudiants disposent d’un exemplaire du texte faisant l’objet du cours, et des listes des lectures obligatoires sont publiées. Mais en 1461, les exemplaires sont en nombre bien trop insuffisant, de sorte qu'il faut mettre en place un système de prêts en commun permettant d'assurer la rotation des textes à partir des exemplaires possédés par les uns et par les autres. 
Il ne peut s’agir là que d’un pis-aller, et il est très vite évident qu’il faut se procurer des exemplaires d'Aristote et d'un certain nombre d’autres auteurs mis au programme. En 1470, les collections commencent à se constituer, et on s’inquiète de leur donner de bonnes conditions de fonctionnement: un local spécifique leur est attribué, où l’on tiendra à disposition la bibliothèque enchaînée, les usuels, tandis que les autres volumes pourront être empruntés. Un bibliothécaire sera désormais désigné tous les ans parmi les magistri Artium: le premier titulaire est Nicolaus Matz, lequel s’emploie aussi à faire des achats (pour un montant total de 61 florins). Le bibliothécaire aura aussi à dresser les deux catalogues, celui de la bibliothèque enchaînée, et celui de la bibliothèque de prêt. Cette année 1470 est ainsi celle de la véritable fondation de la bibliothèque que nous connaissons aujourd'hui.
Les premiers enrichissements semblent surtout venir des dons et des legs: Johannes v. Westhausen lègue des livres en 1469, Johannes Graf l’imite l’année suivante, et les dons se poursuivent au XVe siècle, avec la bibliothèque juridique de Ulrich Rotpletz léguée en 1495. Wimpheling a quitté Fribourg dès 1469 pour passer sa maîtrise à Heidelberg deux ans plus tard, mais il revient à Fribourg en 1504 et promet alors de léguer à la bibliothèque des Arts son exemplaire des Œuvres d’Aristote. Le volume, toujours conservé (Ink. 261) porte la mention: Facultatis Artium Bybliotece Gymnasii Friburgn legavit Ja Wymphe de Slestadt. Les achats sont beaucoup rares, qui concernent surtout des titres publiés à Strasbourg ou à Mayence: le premier exemple connu concerne l’achat des Lettres de saint Jérôme et de la Cité de Dieu, en 1469.
La collection, ouverte aux membres des autres facultés, n’est pourtant pas accessible à tous, mais seulement aux titulaires du grade de magister. Pour autant, les personnalités en vue peuvent jouir de dérogations étonnantes: Jacob Locher, le futur traducteur du Narrenschiff, demande ainsi, en 1495, à emprunter un exemplaire de Pline qui fait partie des livres enchaînés. L’autorisation est accordée, mais la Faculté s’inquiète encore, quatre ans plus tard, de récupérer son volume, en écrivant à Locher, lequel est alors à Ingolstadt. Il l’a pourtant probablement rendu, en définitive, puisque Pline est à nouveau au programme en 1503. L’exemplaire est peut-être celui conservé aujourd’hui (Ink. 2925)…
Le travail de recherche conduit tout récemment par Franziska Schaudeck permet ainsi d’approcher de la manière la plus heureuse les origines d’une grande bibliothèque universitaire, à partir des sources d’archives (surtout les archives de l’Université), mais aussi des exemplaires éventuellement conservés. Il ne peut que faire regretter que l’on ne dispose pas de dossiers analogues constitués pour un certain nombre d’autres établissements de grande tradition historique.

Franziska Schaudeck, «Die Geschichte des Buchbestands der jungen Freiburger Universität (1460-1500)», dans Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, 159 (2011), p. 285-353.

samedi 21 mai 2016

À Rennes, une mémoire franco-allemande

L’Écomusée du Pays de Rennes propose, jusqu’au 28 août 2016, une exposition consacrée à Oberthür, imprimerie fondée en 1852 et que son succès a fait des décennies durant la première entreprise de ville. Passé sous la houlette de Néogravure en 1966, Oberthür, pourtant viable, est emporté par la chute du groupe en 1974, avant de devoir déposer définitivement le bilan en 1981.
L’exposition passe rapidement sur ce point, mais le nom de famille d’Oberthür nous ramène sur le Rhin à la fin du XVIIIe siècle, lorsque François Antoine Oberthür, né à Fulda en 1758, se marie à Strasbourg avec Marie Madeleine Hütter († 1854) et exerce comme perruquier dans cette ville (son père exerçait déjà la même profession, de même que son beau-père). Il décédera à Strasbourg, dans son domicile de la Grand’rue, en 1808.
Acte de décès de Marie-Madeleine Hütter, 1854 (Archives du Bas-Rhin, site Adeloch)
La Révolution donne un coup d’arrêt brutal à l’activité de perruquerie, et le fils de François Antoine, François Jacques Oberthür, né en 1793, s’oriente vers une tout autre branche d’activités: il se lance en effet dans le dessin et dans la gravure, puis dans l’édition lithographique. De son mariage avec Marguerite Salomé Kieffer naîtront deux enfants, François Charles (1818-1893) et Wilhelmina (1820- ?), mais la jeune épouse meurt en couches à en 1820, à vingt ans à peine.
Nous sommes pleinement dans un milieu transnational, et bilingue: son père vient d’Allemagne, et François Jacques Oberthür est lui-même appelé à Fribourg-en-Brisgau, où il enseigne la lithographie dans le cadre de l’Institut artistique (Kunstinstitut) de l’imprimerie-librairie Herder. Au lendemain de la chute de Napoléon, Barthomoläus Herder (1774-1839) a en effet pris pleinement  conscience du marché représenté par l’illustration, l’imagerie et la cartographie non seulement sur cuivre, mais aussi désormais en lithographie. La fondation de l’Institut artistique permet de former en dessin et en gravure un certain nombre de jeunes gens dans un domaine porteur. Parmi les jeunes apprentis, on note la présence des deux frères Franz Xaver et Hermann Winterhalter.
Dans les années qui suivent, François Jacques Oberthür se remarie avec Jeanne Caroline Zeitzmann, née à Iéna et elle-même fille d’imprimeur –les sources indiquent que le mariage a eu lieu à Gries, près de Bischwiller, mais nous n’en trouvons pas trace dans l’État civil de cette localité. Quoi qu’il en soit, Oberthür rentre en Alsace après son veuvage, et il s’établit comme miniaturiste et comme lithographe à Strasbourg, d’abord en association avec Boehm (1825), puis seul, à l’adresse de la rue des Dentelles (1828). Parmi les six enfants de ce deuxième lit, François Antoine lui succédera en 1861 comme imprimeur lithographe à Strasbourg, mais il est surtout connu pour son mariage avec Lucie Valentin, elle-même fille du nouveau préfet du Bas-Rhin nommé par le Gouvernement de la Défense nationale en 1870.
François Jacques Oberthür, Le Quai des bateliers à Strasbourg, 1840
Oberthür décède à Bischwiller en 1863. Le fondateur de la maison Oberthür de Rennes est en réalité son fils aîné, François Charles, lui aussi dessinateur et graveur. Après un apprentissage chez les frères Guérin et auprès du statuaire André Friedrich, il entre dans l’atelier paternel en 1831. Trois ans plus tard, il est choisi pour enseigner le dessin à la nouvelle École d’arts et métiers fondée à Strasbourg par Auguste Ratisbonne et alors dirigée par son fils Louis. Il peut être significatif d'observer que, si les confessions ne sont pas les mêmes (non plus que les niveaux de fortune!) entre les Oberthür et les Ratisbonne, l'histoire familiale est en revanche analogue. August Sussmann Hirsch Regensburger est en effet né à Fürth en 1770. Établi comme banquier et négociant à Strasbourg, il y préside le nouveau Consistoire israélite: le nom de Ratisbonne est choisi comme «nom définitif» de la famille à la suite du décret de Bayonne de 1808.
Mais revenons au jeune François Charles Oberthür, qui entreprend bientôt un périple pour compléter sa formation: il vient à Paris pour se perfectionner dans la lithographie, puis nous le retrouvons à Rennes, où il entre chez Marteville et Landais, imprimeurs lithographes. Cette étape sera décisive sur un double plan: d’une part, Landais propose au jeune homme, en 1842, de s’associer avec lui pour dix ans (Landais et Oberthür), avant de se retirer et de lui céder l’entreprise (1852). En 1844 d’autre part, Oberthür épouse Marie Hamelin, fille du libraire rennais François Marie Alexandre Hamelin. L’entreprise, qui s’adjoint une imprimerie typographique en 1854, est désormais lancée.
À côté des éclairages portés sur la conjoncture générale de la «librairie» en France au XIXe siècle, les Oberthür illustrent ainsi pleinement un certain nombre de logiques récurrentes dans le petit monde de l’émigration. Sans s’arrêter sur cette dimension de la monographie, l’exposition la prolonge pourtant en mettant l’accent sur des problématiques d’anthropologie historique particulièrement importantes, et qui touchent aussi bien au fonctionnement des solidarités qu’à l’esprit d’innovation, au modèle de la formation professionnelle, à l’articulation entre la famille et les affaires, aux conceptions paternalistes du fondateur de la «Maison de Rennes», au rôle des femmes ou encore à la vie quotidienne de la famille. 

Oberthür imprimeurs à Rennes, réd. Alison Clarke, Rennes, Écomusée du Pays de Rennes, 2015, 95 p., ill. ISBN 978-2-901429-38-8
Dominique Lerch, «Une famille de lithographes et ses implantations: la famille Oberthur à Strasbourg, Bischwiller et Rennes (vers1818, vers1893)», dans Le Vieux Papier, 341 (1996), pp. 289-304.

mercredi 18 mai 2016

Conférence d'histoire du livre


École pratique des hautes études, IVe section
Conférence d'histoire et civilisation du livre


Lundi 23 mai 2016
16h-18h
Surveillance policière et métiers du livre à Paris au XVIIIe siècle:
le témoignage de l'Historique des libraires de l'inspecteur Joseph d'Hémery (1749-1752)
par
Monsieur Jean-Dominique Mellot,
conservateur général à la Bibliothèque nationale de France
 

 Nota: La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. (190 avenue de France, 75013 Paris, 1er étage).
 
Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

vendredi 13 mai 2016

Une famille de notables de Bourges à l'heure de la Renaissance

Nous évoquions dans un récent billet le rôle des négociants et des universitaires originaires des pays germanophones et venus à l’université d’Orléans, mais aussi à celles Bourges, voire de Poitiers, au tournant des XVe et XVIe siècles. Certains de ces personnages ont très probablement joué un rôle dans le transfert des idées luthériennes dans le royaume à partir de 1517-1518. Mais d’autres émigrés de la même origine sont établis bien antérieurement, qui parfois ont non seulement réussi sur le plan de la fortune, mais se sont aussi intégrés aux milieux les plus privilégiés de l’entourage royal.
Tel est le cas des Lallemant, négociants installés à Bourges au XIIIe siècle. Un siècle plus tard, Guillaume Lallemant compte parmi les personnalités à la tête de la ville, et des alliances ont été nouées avec les principaux lignages de notables, notamment les Chambellan. C’est Guillaume Lallemant qui achète progressivement le terrain, appuyé sur l’ancienne enceinte, sur lequel sera édifié un premier hôtel. Son fils, Jehan Lallemant, reçoit Louis XI à Bourges en 1461, et exerce à compter de 1481 comme receveur général de Normandie. Il meurt en 1494.
Les deux fils de Jehan portent  le même prénom que leur père, ils seront tous deux maires de Bourges, et ils obtiendront des charges très lucratives, l’aîné comme receveur général de Normandie (il meurt en 1517), le cadet comme receveur général de Languedoc (il meurt en 1521). Deux autres frères entrent dans le clergé: Guillaume sera notamment grand archidiacre de Tours, doyen de Tournai et chanoine de Bourges. Enfin, leur sœur se marie dans une famille de négociants de Florence.
Il est significatif de voir nos personnages s’employer à affirmer une forme de distinction culturelle, en s’appuyant notamment sur le livre et en constituant des bibliothèques pour lesquelles des commandes sont passés auprès d’un certain nombre d’ateliers de copistes et d’enlumineurs. Jehan Lallemant père fait ainsi copier par Jean Gomel, en 1489, un manuscrit des Antiquités judaïques de Flavius Joseph conservé à l’Arsenal (ms 3686). Guillaume Lallemant achète quant à lui à Bourges, en 1493, un manuscrit du Flosculus proverbiorum Salomonis, tandis que Jehan Lallemant le Jeune commande un livre d’Heures à Geoffroy Tory en 1506 –on sait que Tory, né vers 1480 à Bourges, exerce d’abord dans sa ville natale, avant que de venir à Paris d’ comme régent de collège. Le manuscrit est aujourd’hui conservé à Washington. Il est possible qu’un Missel de Tours également de provenance Lallemant et acheté par Pierpont Morgan en 1879 sorte aussi de l’atelier de Geoffroy Tory. Les armoiries ou des devises des Lallemant se retrouvent sur un certain nombre d’autres manuscrits également dispersés à travers le monde: plusieurs autres livres d’Heures et un Office de la Vierge à l’usage de Bourges (Officium Beatae Marie Virginis secundum usum Bituricenis) mais aussi un Roman de la rose et un De Consolatione de Boèce en latin et en français (BN, mss, lat. 6643).

Nous sommes ainsi devant un ensemble caractéristique des bibliothèques des élites liées à la cour, avec la préférence donnée aux manuscrits de luxe, avec pourtant aussi une part proportionnellement importante de livres à contenu religieux. Nous ajouterons, au chapitre de cette conquête de la distinction, le fait que la deuxième édition du De re ædificatoria d’Alberti (Paris, Rembolt, 1512), établie par Geoffroy Tory, est dédiée par lui à Jehan Lallemant le Jeune (cf clichés). Enfin, Marot lui-même rédigera une manière d’épitaphe collective, «Des Allemans de Bourges, récité par la déesse Mémoire».
On rappellera pour finir le fait que les Lallemant font construire, au lendemain du grand incendie de 1494, un somptueux hôtel particulier dans le style italianisant, et qui ce sont eux qui présideront notamment à l’entrée de Louis XII et d’Anne de Bretagne à Bourges en 1506. 

Outre les travaux d’Alain Collas sur les notables de Bourges aux XIVe-XVIe siècle, on consultera: Jean-Yves Ribault, «Note sur les origines de la famille Lallemant», dans Cahiers d’archéologie et d’histoire du Berry, n° 29, juin 1972, p. 62-64. Mécènes et amateurs d’art berrichons du Moyen Âge et de la Renaissance [catalogue d’exposition], Bourges, 1956 (ronéoté), p. 49 et suiv.

dimanche 8 mai 2016

Le luthéranisme et les transferts culturels

L’Église catholique est engagée dans un vaste débat autour des projets de réforme, quand éclate le coup de tonnerre, dans une petite ville de l’électorat de Saxe: à Wittenberg, le 31 octobre 1517, le moine augustin Martin Luther affiche ses Thèses contre les indulgences. Luther n’est certes pas le premier à discuter de la valeur des indulgences, Wittenberg n’est pas non plus une ville importante sur le plan politique, et son université est de fondation très récente. Non, ce qui fait l’efficacité de l’événement de 1517, c’est le retentissement que lui donne aussitôt la diffusion des Thèses sous forme de placards ou de plaquettes imprimés dans les grands centres typographiques allemands. Mieux: le succès de la Réforme luthérienne, à compter de 1517, vient de ce que ses principaux acteurs apprennent très vite à maîtriser les codes du média de l’imprimé, et à l’utiliser de la manière la plus novatrice.
La Réforme se diffusera d’abord par le biais des hommes, et des livres: les réseaux des intellectuels, prédicateurs, enseignants, etc., et des professionnels du livre jouent à cet égard un rôle fondamental dans les pays germanophones, mais aussi par le biais des minorités ou des émigrés germanophones installés à l’étranger. On pensera par exemple aux «Saxons» de Transylvanie, avec un personnage comme Johann Honter à Brassov/ Kronstadt, ou encore aux émigrés allemands actifs dans la «librairie» (voire dans les activités de négoce et de finance) d’un certain nombre de grandes villes européennes, de même qu’aux étudiants et aux enseignants allemands qui fréquentent les universités italiennes, françaises ou anglaises.
Dans les premières décennies du XVIe siècle, les «Allemands» sont toujours à la tête de certaines des plus importantes entreprises dans la branche de la «librairie», à Lyon comme à Paris. Dans l’actuelle région du Centre, à Orléans et à Bourges, le «petit monde» de l’université est le premier vecteur du transfert. L’université d’Orléans, la quatrième du royaume pour son ancienneté, est d’abord connue pour sa faculté de droit –droit canon, mais surtout droit romain, alors même que Paris ne dispose pas de ce dernier enseignement. Les fils de robins et autres administrateurs qui veulent se former pour s’ouvrir une carrière profitable viennent de tout le royaume, mais aussi de l’étranger. La «nation» la plus importante à l’université d’Orléans est précisément la Nation germanique, tant les professeurs ou étudiants allemands sont nombreux à fréquenter la ville des bords de Loire –on se bornera à citer Johann Reuchlin, qui entreprend à Orléans des études de droit, avant de passer sa licence à Poitiers.

Les conditions du transfert sont dès lors réunies, surtout si l’on considère la place des robins dans les premiers groupes de fidèles du protestantisme. Les livres allemands circulent en nombre, et on se rappelle par exemple la découverte que sera pour le jeune Théodore de Bèze, à Bourges en 1534, la lecture du traité de Heinrich Bullinger De origine erroris in negocio Eucharistiae ac Missae paru à Bâle quelques années auparavant (Basel, Wolffius, 1528: cf cliché ci-dessus).
Arrêtons-nous sur une personnalité importante, quoique peut-être négligée par la recherche: Melchior Rufus Wolmar (Volmar, Volckmar) est né en 1497 à Rottweil (Wurtemberg), mais il vient très jeune avec son oncle Valerius Anshelm à Berne, où il est d'abord formé à l’école latine anciennement créée par Heinrich Heynlin de Lapide. Inscrit à l’université de Tübingen en 1514, il y passe le baccalauréat deux ans plus tard: il est très probable qu’il entre alors en contact avec Mélanchthon. Nous retrouvons Wolmar à Fribourg-en-Brisgau en 1519, puis à Paris en 1520: c’est à Paris surtout qu’il se forme au grec (il suit les cours de Nicolas Bérauld, lui-même né à Orléans vers 1470), qu’il passe la licence (1522) et qu’il commence à enseigner.
À Berne comme à Tübingen et à Paris, Wolmar est proche des milieux favorables à la Réforme –il connaît notamment Jacques Lefèvre d’Étaples. Il aurait peut-être été un temps correcteur d’épreuves chez Gilles de Gourmont, quand il donne à son adresse, en 1523, son premier titre, un commentaire sur les deux premiers livres de l’Iliade (Homeri Iliados libri duo una cum annotatiunculis Volmarii, passim suis locis adpositis). En 1527, voici Wolmar à Orléans, où il tient une école qui sera bientôt réputée. Le jeune Théodore de Bèze (1519-1605) y est inscrit à partir de décembre 1528. Deux ans plus tard, Wolmar est appelé par la duchesse de Berry, Marguerite d’Angoulême, pour enseigner les langues anciennes à l’université de Bourges, et Théodore de Bèze le suit: en ville, la maison du maître devient un lieu de rencontre pour les étudiants allemands et suisses. 
Un autre jeune homme, orienté par son père vers une carrière de juriste, arrive lui aussi pour se former à Orléans en 1528: le jeune Jean Calvin (1509-1564), un temps syndic de la Nation picarde, rencontre lui aussi Wolmar, qu’il suivra lui aussi à Bourges, avant de devoir rentrer à Noyon à la suite de la mort de son père (1531). Quelques années plus tard, l’Affaire des Placards ouvre dans le royaume une phase de répression de la Réforme naissante, et Melchior Wolmar part brutalement pour la Suisse (Bâle, Zurich, Saint-Gall), jusqu’à Eisenach, où réside son beau-père. C’est là qu’il accepte la charge de conseiller du duc de Wurtemberg, avant de venir enseigner le droit à Tübingen (1535). Il mourra à Eisenach (Isna) en 1560. Théodore de Bèze, lui-même réfugié à Genève et en Suisse depuis 1548, le remercie en lui dédiant ses Poemata (Paris, Conrad Bade, pour Robert Estienne, 1548), et en publiant la belle lettre liminaire en tête de la Confessio christianae fidei ([Genève], Jean Bonnefoy, 1560: cf cliché ci-dessus).

Frédéric Barbier, «Émigration et transferts culturels: les typographes allemands et les débuts de l’imprimerie en France au XVe siècle», dans Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Comptes rendu des séances de l’année 2011, janvier-mars, Paris, Diff. De Boccard, 2011 [sic pour 2012], p. 651-679.
Albert Labarre, « La répression du livre hérétique dans la France du XVIe siècle », dans Mélanges Aquilon, dir. Frédéric Barbier, p. 335-360.

vendredi 6 mai 2016

Conférence d'histoire du livre

École pratique des hautes études, IVe section
Conférence d'histoire et civilisation
du livre


Lundi 9 mai 2016
16h-18h
Les éditions de musique au service de la Réforme
en France au XVIe siècle,

par 
Monsieur Olivier Grellety-Bosviel ,
docteur de l'EPHE


Nota: La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. (190 avenue de France, 75013 Paris, 1er étage).

Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).