dimanche 24 avril 2016

Bibliohèques romaines de la Contre-Réforme

Pratiquement aucune ville ne peut prendre, au même titre que Rome, le premier rang dans l’histoire des bibliothèques.
Parmi les premières bibliothèques modernes, la Bibliotheca Angelica occupe cependant une position privilégiée. Elle tire son nom de son fondateur, Angelo Rocca, (1545-1620) : né près d’Ancône, il entre à sept ans chez les Augustins, et il poursuivra un cursus d’études qui le conduira jusqu’au grade de docteur en théologie conquis à l’Université de Padoue en 1577. Après qu’il ait un temps séjourné à Venise, où il est notamment un familier de l’atelier des Aldes, le voici appelé à Rome, d’abord comme éditeur de textes (1579), puis comme correcteur à la Typographie Vaticane (1585): il en prendra la direction en 1595. Il collabore tout particulièrement au travail d’édition de la Bible: la Vulgate Sixtine est donnée en 1590, puis la Vulgate Clémentine en 1592 – seule version de la Bible reconnue par l’Église jusqu’en 1979.
Nommé sacristain de la chapelle du pape (1595), puis évêque de Tagaste (1605: c'est évidemment la tradition de saint Augustin), Rocca est avant tout un homme du livre. Il intervient au niveau du programme pictural du nouveau Salone Sistino, dans lequel la Bibliothèque du pape est installée, et publie, en 1591, une notice détaillée du projet :
Bibliotheca Apostolica Vaticana a Sixto V Pont. Max. in splendidiorem, commodioremq[ue] locum translata..., Roma, Typographia Apostolica Vaticana, 1591.
Surtout, il prévoit de léguer sa superbe collection de quelque 20 000 titres à la bibliothèque des Augustins de Rome, sous la condition d’en faire une bibliothèque publique. Un bref de Clément VIII, en 1595, autorise la donation et, en 1604, une inscription lapidaire annonce que les livres seront mis à la disposition de tous les lecteurs intéressés, «pour la commodité non seulement des religieux [de la maison], mais aussi des clercs et des laïcs». L’acte de donation effectivement passé par devant notaire en 1614 inclut un Instrumentum particulièrement intéressant sur le plan bibliothéconomique. Quatre ans plus tard, la bibliothèque est fondue avec la bibliothèque ancienne du couvent, lequel fournit un bibliothécaire élu parmi les frères.
Le Naudé... de l'Angelica
Très vite, la Bibliotheca Angelica, située au cœur de la ville en arrière de la place Navone, devient un lieu de travail pour les savants et prend rang parmi les curiosités visitées par les voyageurs. Naudé la considère comme un modèle, et le Père Jacob confirmera :
Entre toutes les bibliothèques des quatre ordres mandians, je n’en ay point veu de plus belle dans Rome que celle des Pères Augustins ; laquelle doit sa gloire à Ange Rocca, (…) du nom duquel est-elle appelée la Bibliothèque Angélique. Ce docte religieux ne se contenta pas seulement de procurer ce bien aux religieux de son ordre. Mais encore il a ordonné qu’elle seroit publique et ouverte tous les matins à ceux qui y veulent aller estudier, au grand soulagement de tous les curieux (p. 102-103). 
Une trentaine d’années après la mort de Rocca, les Augustins achèteront le groupe d’immeubles voisins pour y transporter la bibliothèque agrandie. Le projet est confié à Borromini, qui a déjà travaillé à la bibliothèque Vallicelliana (1) et à celle de l’université La Sapienza, dite Bibliotheca Alexandrina (2). Le dispositif de cette première Angelica n’a pas été conservé, mais elle était établie dans une grande salle à rayonnages muraux, à laquelle succédera au XVIIIe siècle la salle actuelle.
On considère que l'ouverture de l'Angelica, en 1614, marque la date de la première ouverture d'une bibliothèque publique dans le monde catholique. Et on rappellera que Naudé lui-même fait en partie son apprentissage en bibliographie et surtout en bibliothéconomie à Rome, au service d'abord du cardinal Bagni, puis du cardinal Antoine Barberini.

(1) Créée en 1565 par saint Philippe de Néri dans l’oratoire des Philippins, Piazza della Chiesa Nuova. Voir P. Jacob, p. 104.
(2) La Sapienza, université de Rome, est établie dans ses nouveaux locaux par Giacomo della Porta, qui élève le bâtiment sur la rue et le cloître devant Saint-Yves (1559). La bibliothèque de Borromini, commandée par Alexandre VII (d’où son nom) sera abritée dans l’aile nord, et officiellement ouverte au public en 1670.

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