mercredi 28 octobre 2015

À Debrecen: un Collège calviniste, une bibliothèque exceptionnelle

Comme à Strasbourg avec le collège de Jean Sturm, le Collège de Debrecen, fondé dans les années 1530, comprend deux institutions: un collège assure la formation secondaire, tandis que la Haute École de niveau universitaire offre des enseignements de théologie, belles lettres, droit et sciences de la nature. La structure, qui a pris la succession d’un collège franciscain, passe à la Réforme, et fait le choix du calvinisme en 1549, alors que Andras Dessy en est le recteur, et  la renommée de l‘établissement y attire bientôt des enseignants de l’université de Vienne.
Alors que la Hongrie centrale, avec la capitale royale de Buda, est peu à peu occupée par les Turcs à la suite de la défaite de Mohács (1526), la Transylvanie et la Hongrie orientale, avec Debrecen, sont reconnues comme une principauté indépendante, mais vassale des Turcs (1538). La diète transylvaine de Torda, en 1568, établit la liberté des quatre religions issues du christianisme occidental, les catholiques, les réformés, les calvinistes et les antitrinitaires (alias unitaires). Les orthodoxes, qui semblent être encore en nombre relativement limité, sont simplement tolérés, tandis que les musulmans ne s’implanteront jamais dans la principauté.
Debrecen, alors sous la domination de la famille Török, est une agglomération qui a le statut de marché, et elle connaît une période économiquement très florissante en tant que point de concentration des routes conduisant vers les Carpates en évitant les territoires ottomans: d’une part la route nord-sud, de la Baltique, de l’Allemagne du nord et de la Pologne vers la Transylvanie et Constantinople; de l’autre, les routes venues de Nuremberg, d’Augsbourg, de Vienne et de Hongrie supérieure (Cassovie).
Le rôle du surintendant calviniste Peter Méliusz est considérable (1558-1572). C’est lui qui accueille en 1561 le prototypographe de la ville, Gál Huszár, un ancien disciple de Mélanchton un temps emprisonné à Cassovie. Huszár, qui est venu avec son matériel, achève à Debrecen l’impression de son premier titre, qui est logiquement un recueil des Cantiques protestants (RMNy 160), et qu'il dédie à Melius. Le Conseil de la ville de Debrecen accueille l’atelier, et lui loue un local proche du collège (information sur les premiers imprimeurs ici).
Un an plus tard cependant, Huszár quitte pourtant Debrecen pour occuper un poste de pasteur à Komárom (Hongrie occidentale): apparemment, il aurait laissé sur place son matériel d’imprimeur, lequel est repris par le second imprimeur de la ville, Mihaly Török, en 1562. Celui-ci exercera pendant six ans, mais l’imprimeur principal est, dès 1563, Raphael Hoffhalter, avec du matériel en partie importé de Vienne. Les ateliers de András Komlós et de Rudolf Hoffhalter (le fils de Raphael), puis de la veuve de ce dernier continuent à fonctionner jusque dans la dernière décennie du XVIe siècle, et l'activité d'imprimerie se poursuit dès lors sans solution de continuité. 
La bibliothèque du Collège de Debrecen remonte aux origines mêmes de l’institution, mais elle ne se développe d’abord que très lentement, par suite de l’insuffisance des ressources financières et de la difficulté à se procurer des volumes imprimés en Occident. Une partie des exemplaires vient, bien évidemment, de la production imprimée locale, une autre représente les volumes rapportés par les étudiants après leurs études supérieures (à Wittenberg, etc.), une autre encore est fournie par les dons et les legs, au premier rang desquels ceux des enseignants et des pasteurs. Comme à Strasbourg, mais dans un environnement purement calviniste, la bibliothèque est confiée à un étudiant avancé, plus tard à un professeur, lequel prend le titre de « préfet ». 
La bibliothèque, comme le Collège, ont subi plusieurs destructions par suite d’incendies ou durant les guerres, l’une des plus tragiques se produisant lors de la reconquête du pays par les Habsbourg, au début du XVIIIe siècle. Pourtant, les responsables réussissent alors à mettre, au moins pour partie, leurs livres à l’abri, tandis que les collections sont considérablement enrichies au XVIIIe siècle. Aujourd’hui, la bibliothèque conserve 600 000 documents imprimés, quelque 35 000 pièces manuscrites, un riche fonds d’incunables, etc. : l’ISTC indique 143 exemplaires (le total est sensiblement supérieur), dont un bel ensemble de Bibles et de titres à caractère religieux, mais aussi des livres pratiques et des classiques de l’Antiquité (on signalera un superbe exemplaire de la Cosmographie de Ptolémée). Un grand nombre de ces éditions viennent de Venise, les autres de Bâle, d’Allemagne du sud et des villes italiennes.
Les exemplaires du XVIe sont aussi tout particulièrement intéressants: un ensemble spectaculaire d’éditions de Debrecen est présenté au Musée historique du Collège, tandis que la bibliothèque possède, par exemple, un extraordinaire recueil de Dürer (Überweisung der Messung, 1525, etc.) ayant appartenu à Willibald Pirckheimer, dans un état irréprochable et sous une reliure d’époque, estampée à froid et portant le nom de l’artiste… (voir le catalogue en ligne: le sigle de la bibliothèque du Collège est DRK).

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