dimanche 17 novembre 2013

La Renaissance: la politique, les arts et les lettres

Nous avons déjà à plusieurs reprises traité de l’articulation entre le champ du politique, et celui de l’écriture et des arts. Le colloque «Bodoni», qui vient de se dérouler à Bologne, offre l’opportunité d’illustrer une problématique à laquelle la conjoncture italienne du bas Moyen Âge et des débuts de l’époque moderne fournit un terreau bien évidemment très favorable.
Lorsque, à partir du XIIIe siècle, les catégories socio-politiques traditionnelles tendent à perdre de leur prégnance (notamment la féodalité), différentes expériences se déroulent, qui visent à construire un paradigme historico-politique nouveau. Ce paradigme sera en définitive celui de l’absolutisme princier, lequel entretient des liens très particuliers avec le domaine de l’écrit et du livre. Le prince doit en effet se distinguer du commun pour justifier le statut dérogatoire dont il bénéficie, et l’un des éléments majeurs de cette distinction concerne, certes, le cadre de vie (le château et la vie de cour), mais aussi les arts et les lettres.
Ludovicus Rex
L’évidence de la grandeur du prince justifie son pouvoir: c’est parce qu’il est la figure centrale d’un monde distingué qu’il jouit de son statut privilégié; parce qu’une communauté réunie à son entour, une cour de «grands» et d’administrateurs, d’intellectuels, d’artistes, d’artisans et de serviteurs, le proclame comme tel; parce qu’il déploie et fait déployer une véritable «rhétorique de la gloire». La théorie politique lui permet de déroger au droit naturel et «l’empêche de se réduire à n’être que [ce] qu’il est», à savoir un homme: la célèbre caricature de Louis XIV par ses adversaires protestants ne dit pas autre chose («Ludovicus rex»), tout en renvoyant à un usage très moderne de la publication polémique.
A côté de celui de l’art, le domaine de l’écrit et du livre se trouve désormais en charge d’une fonction politique stratégique: celle-ci se traduit par le rôle du prince en tant que mécène, mais aussi en tant qu’amateur de livres précieux, dont il constituera éventuellement une collection. Dès la première moitié du XIVe siècle, la dynastie des Polenta, seigneurs de Ravenne, accueille aussi bien Dante que Boccace: ce dernier, dans son petit Traité à la gloire de Dante (en même temps la première biographie du poète), fait la louange de la ville et de ses princes, par opposition à Florence, qui avait exilé Dante. La protection accordée aux artistes et écrivains est un élément de la gloire de la cité (ou de la principauté) et de ceux qui la dirigent.
Matthias Corvin
Plus tard, Vasari retracera la théorie des grands mécènes, parmi lesquels il fait figurer le roi de Hongrie Matthias Corvin. Or, une exposition présentée en ce moment même à San Marco de Florence (dans le cadre de l'année de la culture hongroise en Italie) illustre de façon spectaculaire les liens très étroits alors entretenus entre la péninsule italienne en général (et la cité des lys en particulier), et la capitale de Buda. Matthias attire à sa cour artistes, écrivains et intellectuels, mais il est aussi le commanditaire de séries de manuscrits somptueux préparés sur les bords de l'Arno: la nouvelle Bibliotheca Corviniana s'impose comme un véritable symbole de l’humanisme, et on sait que sa disparition à la suite des désordres survenus après la mort du roi (1490) et de l’invasion ottomane, aurait poussé Conrad Gesner à entreprendre ses monumentaux travaux de bibliographie rétrospective...
Ainsi, c’est à la Renaissance que se fonde d’abord le paradigme politique qui va en grande partie dominer toute l’Europe moderne, et que nous avons désigné comme celui du baroque. Victor L. Tapié s'interrogeait:
«Au-delà des évidentes différences [entre les formes d'art du XVIIe siècle], n'existerait-il pas des sources communes et des affinités cachées? N'y aurait-il pas là deux expressions d'une même civilisation ou, pour être encore plus précis, deux styles qui répondent peut-être à des sensibilités différentes, mais [qui] traduiraient l'un comme l'autre l'esprit d'une même société (1)»?
Le retour à l'antique se trouvera réanimé à l’époque de la «seconde Renaissance», la Renaissance du néo-classique et de Bodoni, mais alors même que la conjoncture politique et économique change de plus en plus profondément. C’est, bientôt, le temps d'une nouvelle révolution du livre et des médias, par rapport à laquelle l’économie du livre de cour qui était celle d’un Bodoni paraît de plus en plus en décalage –de fait, elle va disparaître à court terme, avec la dislocation de l'Europe napoléonienne, et la mort du maître imprimeur lui-même.

(1) Victor L. Tapié, Baroque et clacissime, 1ère éd., Paris, Plon, 1957, p. 12. 

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