mercredi 30 octobre 2013

Conférences d'histoire du livre

École pratique des hautes études,
IVe Section (Sciences historiques et philologiques)
Conférence d’Histoire et civilisation du livre
 
Calendrier des conférences pour l’année universitaire 2013-2014
(en complément du calendrier déjà publié)


Madame Emmanuelle Chapron, maître de conférences à l’université de Provence, membre de l'Institut universitaire de France, chargée de conférences à l'EPHE

Histoire de la librairie pédagogique au XVIIIe siècle

25 novembre 2013: Histoire de la librairie pédagogique au XVIIIe siècle (1). Trajectoires éditoriales (1) : Robinson Crusoé
16 décembre 2013: Histoire de la librairie pédagogique au XVIIIe siècle (2). Trajectoires éditoriales (2) : le Gradus ad Parnassum
13 janvier 2014: Histoire de la librairie pédagogique au XVIIIe siècle (3). Écoles et édition scolaire (1): l’Ecole royale militaire
3 février 2014: Histoire de la librairie pédagogique au XVIIIe siècle (4). Écoles et édition scolaire (2) : les Ursulines
3 mars 2014: Histoire de la librairie pédagogique au XVIIIe siècle (5). Livre scolaire et pratiques commerciales: les catalogues de libraires

 
La conférence a lieu aux dates indiquées,
de 14h à 16h. Elle se déroule à l'École pratique des hautes études, 190 avenue de France, 75013 Paris (1er étage). Il est rappelé que l'assistance aux conférences suppose d'être régulièrement inscrit auprès de l'École. Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2013-2014.

lundi 28 octobre 2013

Un colloque sur le décor des bibliothèques baroques

Le colloque organisé par Istvan Monok et Frédéric Barbier et qui vient de se tenir à Eger, dans la superbe salle historique de la bibliothèque du Lyzeum, a traité d'une problématique importante, celle du décor des bibliothèques, en l’occurrence du XVIIe au XIXe siècle.
Ce blog a abordé à plusieurs reprises la question du décor des bibliothèques, qui était restée relativement négligée, du moins en France, depuis les travaux fondateurs d’André Masson (on verra un certain nombre de ses articles, et surtout son livre Le Décor des bibliothèques, Genève, Droz, 1972). Une des difficultés majeures du sujet vient de ce qu’il met en jeu des domaines traditionnellement disjoints dans les structures de l’université et de la recherche: il faut faire se parler historiens du livre et des bibliothèques, certes, mais aussi historiens d’art, spécialistes de l’histoire des idées, de la littérature, etc. Le programme du colloque a permis, dans une certaine mesure, de confronter utilement des expériences venues de ces différents champs –pour ne rien dire de l’impératif que constitue pour nous la nécessité de conduire ces études dans une perspective transnationale.
Nous avons notamment pu reprendre à grands traits la chronologie, pour en souligner certaines spécificités. Le premier temps est celui de la tradition et des autorités: la pensée médiévale se réfère à un corpus nombre de figures fondatrices et d’auctoritates qui seules lui permettent de considérer un discours comme discours de vérité (Aristote, saint Augustin, etc.). Ce sont ces allégories et ces figures qui sont le cas échéant convoquées pour constituer le décor peint d’une bibliothèque comme celle du chapitre de la cathédrale du Puy.
À partir du XIVe siècle italien, le dispositif réintroduit les contemporains dans l’iconographie des bibliothèques de la Renaissance, en les assimilant ainsi aux figures de l’Antiquité classique: le meilleur exemple en est donné par la fresque célèbre de Melozzo da Forli mettant en scène la fondation de la nouvelle bibliothèque pontificale, et qui vient décorer celle-ci. Pourtant, le point de référence absolu reste toujours celui de l'Antiquité.
Avec l’irruption de la Réforme (début du XVIe siècle), la dislocation de la chrétienté romaine universelle fonde une tradition toute autre: les choix de Luther, s’agissant de livres, visent à l’efficacité, et la doxa protestante se révéle, logiquement, méfiante sinon hostile face aux images. L’objectif d'une bibliothèque est de permettre la formation morale et intellectuelle de chacun, sans qu’une réelle attention soit donnée au décor, sinon sous la forme de portraits des illustres, donateurs, savants et professeurs, sans oublier bien entendu les grandes figures de l’Église, à commencer par les fondateurs, Luther, Mélanchton, Calvin et un certain nombre d'autres (voir l'exemple de Leyde).
La mise en cause de l’Église de Rome et les progrès rapides de la philologie réformée impulsent le mouvement de réforme catholique, notamment par le travail du concile de Trente. Les nouvelles bibliothèques seront actualisées et réorganisées sur le plan matériel: l’Escorial innove de manière décisive pour avoir disposé les livres non plus sur des pupitres, mais en périphérie de la salle, sur les murs. Pour autant, le programme iconographique est traditionnel, avec la fresque des arts libéraux et le double motif articulant le savoir classique (l’École d’Athènes) et la Révélation chrétienne. L’innovation se prolonge en Italie, moins avec la bibliothèque de Sixte Quint qu’avec les autres bibliothèques de Rome et de Milan, dont un certain nombre sont l'œuvre de Borromini. Il s’agit en principe de bibliothèques ouvertes (les deux plus célèbres sont l'Ambrosiana et l'Angelica), dans lesquelles la décoration picturale prendra éventuellement la forme d’un décor de fresques.
On sait comment ce modèle italien sera celui transporté en France par Gabriel Naudé, pour la bibliothèque de Mazarin, mais selon des principes très différents de ceux des pays catholiques de l’espace germanophone et de l’Europe centrale: là où le baroque déploie une décoration spectaculaire et parfois somptueuse, Naudé impose l’idée selon lequel le décor de la salle est apporté par les seuls livres. L’absence de tout décor, soit peintures, soit statues, implique que la lecture ne soit pas orientée, mais qu’elle reste ouverte. D’une certaine manière, ces choix d’inspiration plus janséniste, se rapprochent de la tradition réformée. Ils seront repris par l’abbé Bignon, lorsque celui-ci les imposera, dans les années 1720, aux architectes de la nouvelle bibliothèque royale de Paris: «Un vaisseau tel que celuy que vous avez est au-dessus de toute décoration (…). Rien (…) ne peut plus en imposer aux étrangers et aux curieux que l’immense étendue de livres que l’on verra dans ce bâtiment…»
Le colloque a prolongé sa réflexion sur le XVIIIe et le début du XIXe siècle, en abordant en outre un grand nombre de questions, de l’architecture au programme iconographique, aux répertoires de motifs (les livres d’emblèmes…), à la localisation, à la lisibilité et aux fonctions du décor, etc. Nous nous efforcerons de publier les Actes le plus rapidement qu’il nous sera possible. Quant à la série de colloques d’histoire des bibliothèques que nous avons inaugurée à Parme en 2011, elle devrait se poursuivre au cours des prochaines années, avec notamment un projet concernant la Bibliothèque nationale de Turin.

Quelques participants du colloque. 1er rang: Pr. Dr. A. Serrai (Rome), Pr. Dr. J.-M. Leniaud (Paris), Dr. A. De Pasquale (Milan et Turin). 2e rang: Pr. Dr. F. Barbier (Paris), Pr. Dr. I. Monok (Budapest et Szeged), Dr. Y. Sordet (Paris).

mardi 22 octobre 2013

Anthropologie historique des métiers du livre

Nous avions signalé la tenue du colloque de Rome, sur les métiers du livre, en mars 2012. Les Actes de ce colloque viennent d’être publiés, dans un délai par conséquent très remarquable:
Mobilità dei mestieri del libro tra Quattrocento e Seicento, Convegno internazionale, Roma, 14-16 marzo 2012,
éd. Marco Santoro et Samanta Segatori,
Pisa, Roma, Fabrizio Serra Ed, 2013, 398 p.
(«Biblioteca di Paratesto»).
ISBN 88-6227-523-4

Sommaire
Marco Santoro, Presentazione
Cosimo Palagiano, I flussi migratori in Italia tra il ’400 e il ’600
Concetta Bianca, La mobilità dei letterati
Frédéric Barbier, Émigration et transferts culturels dans la «librairie» aux époques moderne et contemporaine : le cas de l’Allemagne et de la France
Stephan Füssel, Die Ausbreitung des Buchdrucks in Deutschland und durch deutsche Drucker in Europa (ca. 1454-1470)
Ursula Rautenberg, Verbreitender Buchhandel im deutschen Sprachraum von circa 1480 bis zum Ende des 16. Jahrhunderts
Lotte Hellinga, Printers move to England
Por Manuel-José Pedraza-Gracia, Aproximación al estudio de la movilidad de los impresores en la Corona de Aragón peninsular en los siglos xv y xvi
Fermin de los Reyes, La movilidad de los impresores en Castilla en el siglo xv
Malcolm Walsby, Mobilità tipografica in Francia durante le guerre di religione
Lodovica Braida, Una rete di librai cosmopoliti: i briançonesi in Italia e il loro ruolo di editori
Giuseppina Zappella, Flussi di mobilità degli artisti del libro napoletano del Seicento
Maria Gioia Tavoni, Stampare in itinere : il torchio al seguito
Lorenzo Baldacchini, Cantastorie-editori nell’Italia del Cinquecento
Edoardo Barbieri, Note sulla committenza editoriale ecclesiastica nell’Italia del Quattro e Cinquecento
Giorgio Montecchi, Circolazione libraria e mobilità dei primi tipografi in area medio padana
Arnaldo Ganda, Stampatori e librai del Quattrocento, che si spostano da Venezia a Milano e viceversa
Anna Giulia Cavagna, Mappa e tipologia delle migrazioni di tipografi-editori. Riflessioni metodologiche : il caso di Pavia e Genova nel xvi secolo
Marco Santoro, La mobilità dei mestieri del libro : caratteristiche e valenze
Rosa Marisa Borraccini, La mobilità dei mestieri del libro nello Stato pontificio
Giuseppe Lipari, La mobilità dei mestieri del libro in Sicilia
Giancarlo Volpato, La mobilità dei mestieri del libro nell’area veneta tra Quattro e Seicento
Indice dei nomi, éd. Samanta Segatori

vendredi 18 octobre 2013

Conférences d'histoire du livre: calendrier 2013-2014

École pratique des hautes études,
IVe Section (Sciences historiques et philologiques)
Conférence d’Histoire et civilisation du livre
 
Calendrier des conférences pour l’année universitaire 2013-2014

Monsieur Frédéric Barbier, directeur d’études, directeur de recherche au CNRS (IHMC/ ENS Ulm), membre de l’Institut d’études avancées de l’Université de Strasbourg: «Histoire des bibliothèques»
Madame Emmanuelle Chapron, maître de conférences à l’université de Provence, membre de l'Institut universitaire de France, chargée de conférences à l'EPHE
Monsieur Jean-Dominique Mellot, conservateur général à la Bibliothèque nationale de France 

Année 2013
Lundi 18 novembre
Ouverture de la conférence. À propos de l’Histoire des bibliothèques (Paris, 2013), par Monsieur Frédéric Barbier, directeur d’études. Discutants : Monsieur Istvan Monok, professeur à l’université de Szeged, directeur de la Bibliothèque de l’Académie des sciences de Hongrie ; et Monsieur Yann Sordet, conservateur en chef, directeur de la Bibliothèque Mazarine
Lundi 25 novembre
Introduction à l’histoire des bibliothèques (1), par Monsieur Frédéric Barbier
Lundi 2 décembre
Introduction à l’histoire des bibliothèques (2), par Monsieur Frédéric Barbier 
Lundi 9 décembre
Conférence annuéle
Lundi 16 décembre
Le décor des bibliothèques, 1627-1851 : retour sur le colloque de Eger (1), par Monsieur Frédéric Barbier
Lundi 23 décembre Pas de conférence (vacances de Noël)
Lundi 30 décembre Pas de conférence (vacances de Noël)
Année 2014
Lundi 6 janvier 
Le décor des bibliothèques, 1627-1851 : retour sur le colloque de Eger (2), par Monsieur Frédéric Barbier
Lundi 13 janvier
La Révolution française et les bibliothèques, par Monsieur Frédéric Barbier
Lundi 20 janvier
Construire une bibliothèque (1), par Monsieur Frédéric Barbier
Lundi 27 janvier
Corporations du livre, vie des ateliers et main-d'œuvre typographique sous l'Ancien Régime (1), par Monsieur Jean-Dominique Mellot, conservateur général à la Bibliothèque nationale de France
Lundi 3 février
La décor de la Bibliothèque Mazarine: nouvelles découvertes, par Monsieur Yann Sordet, directeur de la Bibliothèque Mazarine
Lundi 10 février
Un siècle de bâtiments nouveaux pour les bibliothèques française (fin XVIIIe siècle-fin XIXe siècle), par Monsieur Frédéric Barbier
Lundi 17 février Pas de conférence (vacances d’hiver)
Lundi 24 février
Corporations du livre, vie des ateliers et main-d'œuvre typographique sous l'Ancien Régime (2), par Monsieur Jean-Dominique Mellot
Lundi 3 mars 
Histoire des bibliothèques de Strasbourg (1), par Monsieur Frédéric Barbier
Lundi 10 mars
Histoire des bibliothèques de Strasbourg (2), par Monsieur Frédéric Barbier
Lundi 17 mars
Histoire des bibliothèques de Strasbourg (3), par Monsieur Frédéric Barbier
Lundi 24 mars
Les catalogues de bibliothèques: La bibliothèque d'un médecin protestant français à la fin du dix-septième siècle, par Monsieur Jean-Paul Pittion, professeur à l'Université François Rabelais, Fellow de Trinity College (Dublin), membre du CESR (Tours)
Lundi 31 mars
La librairie parisienne sous surveillance (1814-1848), par Madame Marie-Claire Boscq, docteur de l'UVSQ
Lundi 7 avril
Histoire des bibliothèques de Strasbourg (4), par Monsieur Frédéric Barbier
Lundi 14 avril Pas de conférence (vacances de printemps)
Lundi 21 avril Pas de conférence (vacances de printemps)
Lundi 28 avril
Vers une prosopographie des gens du livre en France : l'exemple de la Basse-Normandie 1701-1789 , par Monsieur Ian Maxted
Lundi 5 mai Histoire des bibliothèques de Strasbourg (5), par Monsieur Frédéric Barbier
Lundi 12 mai Les catalogues de bibliothèque (2): la Bibliothèque publique de Morges et ses catalogues au XVIIIe siècle, par Monsieur Thierry Dubois, conservateur à la Bibliothèque de Genève 
Lundi 19 mai
Les d’Houry, éditeurs de l’Almanach royal et de livres médicaux (Paris 1649-1790), par Mme Anne Boyer, présentée par Monsieur Jean-Dominique Mellot
Lundi 26 mai Histoire des bibliothèques de Strasbourg (6), par Monsieur Frédéric Barbier
Lundi 2 juin Conclusion de la conférence : Autour de Pierre Benoît (Frédéric Barbier)
La séance foraine se tiendra en novembre prochain (sous réserves) 
Atlas de Ptolémée (détail). © Bibl. nationale, Milan
Nota : le détail des conférences consacrées aux «Catalogues de bibliothèque» et à l’«Histoire des bibliothèques de Strasbourg» sera donné ultérieurement. 

Le calendrier ci-dessus est donné sous toutes réserves. Attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog (http://histoire-du-livre.blogspot.fr/). Par ailleurs, les auditeurs sont invités à se faire connaître à l’adresse frederic.barbier@ens.fr, de manière à recevoir par courriel les annonces hebdomadaires correspondantes. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez.
La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre se déroule tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. Elle se déroule au 190 avenue de France, 75013 Paris (1er étage). Il est rappelé que l'assistance aux conférences suppose d'être régulièrement inscrit auprès de l'École. Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2013-2014.
Transports en commun: Métro, ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare ((250 m. à pied). Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg). Un petit peu plus éloignés: Métro, ligne 14, station Bibliothèque François Mitterrand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterrand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterand).

lundi 14 octobre 2013

La Vierge lisant

Voici une image étonnante.
Chacun connaît le thème de l’Annonciation, dont le récit figure dans l’Évangile de Luc (I, 26 et suiv.): «Au sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth, auprès d’une vierge fiancée à un homme de la maison de David (…). Le nom de la vierge était Marie… » L’iconographie la plus fréquente de cette scène si souvent représentée qu’elle en devient presque banale reprend le motif de la lecture féminine: Marie est devant un meuble, un pupitre, parfois un prie-Dieu, sur lequel est ouvert un livre, et les commentaires mettent l’accent sur le fait que ce livre est, très probablement, un livre d’Heures. Dans d’autres exemples reprenant le motif de la Vierge lisant, le livre est simplement posé sur les genoux de celle-ci.


À Brou, Les Septs joies du mariage (détail)
Dans l’église Notre-Dame de Brou, le somptueux retable des Sept joies du mariage est réalisé en marbre noir et en albâtre dans les premières décennies du XVIe siècle, mais la scène de l’Annonciation y suit toujours ce même modèle traditionnel.
Partout, le schéma de la lecture féminine qui se trouve ainsi proposé est celui d’une lecture pieuse, qui est en même temps une lecture intensive, c’est-à-dire la lecture et la relecture d’une très petit nombre de textes, sinon d’un seul.
Nous avions certes remarqué il y a quelques années, dans le chœur de la cathédrale d’Amiens, une sculpture polychrome mettant en scène, le séjour de la Vierge chez Élisabeth peu après l’Annonciation. Dans les années 1530, l’artiste a représenté les deux femmes, richement habillées et assises dans un intérieur choisi, en train de parler ensemble à propos de leurs lectures (chacune tient un livre dans la main). Mais ce choix iconographique n’en reste pas moins rare.
Or, nous découvrons aujourd’hui, dans la Galerie nationale des Marches abritée dans le somptueux Palais ducal d’Urbino, une Annonciation sur bois, remontant aux années 1400 (quatre générations auparavant!) et due à Olivuccio Ceccarello di Ciccarello da Camerino. La Vierge est surprise par l’ange dans son intérieur, elle a en effet un livre ouvert sur les genoux, mais elle se trouve face à un mobilier tout différent de celui figurant dans les exemples précédents: un véritable meuble de travail, avec une tablette pour écrire (on distingue d'ailleurs un encrier portant une plume), un pupitre surélevé sur lequel deux volumes sont posés, et un espace de rangement en arrière (avec un livre fermé, posé debout). D’une certaine manière, la Vierge est ici dans la posture classique du Père ou du docteur de l’Église en train de travailler à un texte et surpris par l'apparition surnaturelle (voir l’exemple de saint Augustin mis en scène par Giovanni di Paolo).
© Galleria nazionale delle Marche
Il ne s’agit plus, à Urbino, du modèle traditionnel de la lecture de piété, mais bien d’un aménagement pleinement adapté au travail intellectuel et destiné à une femme. Il permet notamment d’écrire tout en tenant sous les yeux, en respectant les règles de l'ergonomie, les volumes de référence dont on souhaite se servir. La figure de la lecture féminine et le rapport de la femme et du livre sont ici très profondément modernisés, et la précocité de l’exemple le rend d’autant plus remarquable.

Signalons, parmi les bases iconographiques disponibles en ligne, le remarquable site de l'université de Provence: utpictura18

jeudi 10 octobre 2013

Le jansénisme et l'histoire du livre

On excusera ce petit mot d’égo-histoire, pour introduire une note relative à une exposition récemment inaugurée à Paris: un choix en apparence d'autant plus paradoxal que le jansénisme a, certes, beaucoup à faire avec l'histoire du livre.
C’est pourtant en classe de seconde, dans un de ces grands lycées parisiens qui sont en eux-mêmes de véritables monuments historiques (en l’occurrence, à Charlemagne, au cœur du quartier du Marais), que nous avons eu l’occasion de découvrir Pascal, ses Provinciales… et le jansénisme. On imagine mal, quarante ans plus tard, comment il serait  aujourd'hui possible d’intéresser directement des jeunes gens d’une quinzaine d’années à des problématiques aussi particulières: moins celles de la Contre-Réforme, de la construction de l’absolutisme monarchique ou de la pédagogie jésuite, que la question centrale, celle de la grâce.
Pourtant, le fait est là: d’abord fascinés par la langue magnifique de Pascal et par la rhétorique des Provinciales, nous étions aussi touchés par la discussion sur la grâce, parce qu’elle nous interpellait sur les problèmes éternels, de la nature de l’homme, de son rapport à la divinité et de la manière pour chacun de conduire sa propre vie. C’était là, on le comprend, un idéal de curiosité qui permettait bientôt de s’embarquer pour la grande traversée des Pensées, dans laquelle nous nous lancions.
On a beaucoup dit, en partie à juste titre, que le manuel de français alors utilisé le plus couramment, celui de la collection «Lagarde et Michard» (sous titré «Les grands auteurs français du programme»), était médiocre. Il est certain qu’à un niveau d’études plus élevé, c’était un manuel insuffisant, fondé sur une succession d’extraits parfois très courts, et qui privilégiait précisément la théorie des «grands auteurs». Un petit coup d’œil dans le troisième volume («Le XVIIe siècle»), aujourd’hui toujours disponible dans notre bibliothèque, incite pourtant à plus d’indulgence.
L’ouvrage, sous sa couverture entoilée (et solide!) est resté familier, avec ses cahiers d’illustrations en couleurs que nous mémorisions à force de les avoir sous les yeux: le buste du Grand Condé par Coysevox et le portrait hollandais de Descartes, la Galerie du palais et ses libraires (déjà!), parfois aussi des images spectaculaires, mais hors de leur chronologie –le Serment des Horaces de David convoqué pour accompagner Corneille. Parmi ces images, deux étaient pour nous particulièrement frappantes: le portrait de Pascal, homme jeune, mais déjà un petit peu chauve et dont le teint jauni signifiait à nos yeux la maladie et la mort prochaine, et la reproduction du Mémorial, témoignage direct de la nuit d’extase où Pascal reçut une certitude que la plupart cherchent toujours. Se faire offrir, probablement pour Noël, le Pascal de «La Pléiade» a constitué l’étape suivante de cette découverte.
En somme, cette année scolaire 1966-1967 est aujourd'hui devenue une autre époque, celle où les enseignants fumaient en classe –notamment pendant les cours de lettres: français, latin, grec–, mais où il y avait des programmes assez cohérents pour être intelligibles et pour toucher les élèves. Grâce à eux, nous savions que Pascal était toujours notre contemporain, qui avait directement quelque chose à nous dire sur sa recherche la plus intime, et sur ces questions essentielles que nous nous posions nous aussi.
Par une claire après-midi d'hiver, le vallon de Port-Royal
Nous devions retrouver le jansénisme quelques années plus tard, mais dans le contexte complètement différent des études d’histoire, en classe de préparation, et dans le cadre d’une forme d’objectivité scientifique qui, en réalité, nous touchait moins que la découverte immédiate de textes aussi riches. Le jansénisme était devenu un phénomène à démonter, chose difficile dès lors qu'elle supposait une connaissance certaine en matière de théologie (une matière quelque peu négligée dans l’enseignement secondaire…). Elle supposait aussi une certaine familiarité à l’égard de l’environnement social et des rapports de forces à l’œuvre dans un monde, celui des XVIIe et XVIIIe siècles, pour nous à peu près étranger. La croyance au genius loci soutenait pourtant toujours l'empathie, et une visite à Port-Royal marquait une précieuse expérience. Bien plus récemment, nous avons d’ailleurs retrouvé le jansénisme, la politique –et l’histoire du livre– à l’occasion de la séance foraine d’Auxerre (juin 2013).
Il est surprenant que, dans un pays dans l’histoire duquel le jansénisme a tenu une telle place, son souvenir soit aujourd’hui relégué au rang de curiosité plus ou moins secondaire et inintelligible, qui en tous les cas n’a rien de réel à nous dire. On doit d’autant plus se féliciter de l’exposition que lui  consacre la Bibliothèque Mazarine, et qui se concentre sur les événements –et les publications– qui ont suivi la bulle Unigenitus de 1713. On y découvrira une soixantaine de pièces, de l’Augustinus (mais dans une édition rouennaise de 1643, trois ans après l’originale de Louvain) à la bulle de 1713, à l’affaire des convulsionnaires, sans oublier les célèbres et rarissimes Sarcellades, ou Harangues des habitans du village de Sarcelles
Ce billet aura sans doute pris une forme trop personnelle. On y verra une forme de piété et de reconnaissance, et surtout on se consolera en allant découvrir l’exposition présentée pour plusieurs semaines encore dans la salle historique de la Mazarine.

Communiqué- Le 3 octobre 1713 était officiellement présenté à Louis XIV un document qui allait déclencher en France une crise de vaste ampleur (…) La diffusion et la réception de la bulle Unigenitus s’accompagnèrent d’une production éditoriale massive et diversifiée. Textes officiels, défenses et contestations, disputes théologiques, pamphlets et libelles, gravures satiriques, récits de scandales… la production imprimée du temps, soigneusement collectée par certains de ses contemporains, témoigne aujourd’hui de l’ampleur de cette affaire. Elle constitue en cela un moment singulier de l’histoire de l’opinion et des médias en France.

Exposition organisée par la Bibliothèque Mazarine, en collaboration avec la Bibliothèque de la Société de Port-Royal. Commissaire: Stéphanie Rambaud
4 octobre – 20 décembre 2013, du lundi au vendredi, de 10h à 18h.
Entrée libre et gratuite
Bibliothèque Mazarine, 23 quai de Conti, 75006 Paris. Tel. : 01 44 41 44 66

lundi 7 octobre 2013

Colloque d'histoire des bibliothèques

LA BIBLIOTHÈQUE DU CHAPITRE DE BAYEUX

Colloque organisé par la Direction régionale des Affaires culturelles de Basse-Normandie
et la Ville de Bayeux

7-8 novembre 2013

PROGRAMME

Jeudi 7 novembre
Matin
9 heures – Accueil des participants
9 h 30 – Ouverture du colloque par Kléber Arhoul, directeur régional des Affaires culturelles de Basse Normandie, en présence du maire de Bayeux
10 heures – Introduction François Arnaud, Sylvette Lemagnen, François Neveux

1ère partie – Le cadre historique et architectural
10 h 30 – François Neveux, Le contexte historique de la construction de la bibliothèque (XIIIe-XVe siècle)
11 heures – Pierre Bouet, Le contenu d’une bibliothèque médiévale
11 h 30 – Jérôme Beaunay et Frédéric Henriot, Historique et description architecturale du bâtiment de la bibliothèque du chapitre de Bayeux
12 heures – Discussion générale

Après-midi
2e partie – Les collections
14 heures – Monique Peyrafort-Huin, La bibliothèque de Bayeux au XVe siècle reflet d’une collectioncapitulaire médiévale
14 h 30 – Julie Deslondes, Histoire et nature du fonds de manuscrits conservé aux Archives départementales du Calvados
15 heures – Cécile Fouquet-Arnal, Un exemple de Bible portative du XIII° siècle : le manuscrit 49 déposé à la médiathèque municipale de Bayeux
15 h 30 – Discussion

16 heures – Pause
16 h 30 – Jean-Dominique Mellot, L'édition normande à travers les collections de la bibliothèque du chapitre de Bayeux
17 heures – Geneviève Mauger, Simien Despréaux, La commission des Arts et le sort de la bibliothèque du chapitre pendant la Révolution
17 h 30 – Discussion
18 heures – Fin de la séance

Vendredi 8 novembre
Matin
3e partie – Les livres et les hommes
9 heures – Nicolas Trotin, Les bibliothèques des chapitres cathédraux de Normandie sous l'Ancien Régime
9 h 30 – Ian Maxted, Informer et s’informer : un évêque de Bayeux et les imprimeurs au XVIIIe siècle
10 heures – Discussion

10 h 15 – Départ vers la cathédrale
10 h 30 – Visite de la Bibliothèque du chapitre (par Marie-Claude Pasquet). Visite de la Salle du Chapitre et du Trésor. Visite des parties hautes de la cathédrale (visites par groupe de 19, guide compris, sur inscription préalable)
12 h 30 – Réception par la mairie de Bayeux

Après-midi
14 heures – Visite de l'exposition « Merveilleux manuscrits de la bibliothèque du chapitre » au MAHB
15 heures – Dominique Varry, Une histoire millénaire: les bibliothèques de cathédrales en France et en Angleterre
15 h 30 – François Arnaud, La bibliothèque sans bibliothécaire? L'exposition au public, nouvelle destinée au XXIe siècle
16 heures – Nicolas Georges, Le livre de demain (non confirmé)
16 h 30 – Discussion et Conclusion par François Neveux
17 h 00 – Fin du colloque

Merci de bien vouloir prévenir de votre participation.
Direction régionale des affaires culturelles de Basse-Normandie 02 31 38 39 61 – guylene.fauq@culture.gouv.fr

(Communiqué par Ian Maxted)

jeudi 3 octobre 2013

En relisant le Journal de Gide

Les travaux récents d’histoire littéraire –et d’histoire du livre– insistent souvent sur le rôle stratégique des réseaux de sociabilité, tout comme sur celui des pratiques, des lieux où l’on se retrouve, etc. Nous parlions tout récemment de Madame de Staël et du «salon de l'Europe» que celle-ci tenait à Coppet. Le fait est particulièrement sensible au fil des pages quand nous reprenons la lecture du Journal d’André Gide, notamment s’agissant du réseau du Mercure de France, et de son directeur, Alfred Vallette. Prenons un florilège de citations. Chaque fois, Gide part pour un certain nombre de courses dans Paris:
5 janvier 1907: «Première étape aux bureaux du Mercure ; il s’agit d’obtenir un bureau de tabac pour la veuve d’Emmanuel Signoret; j’ai déjà parlé de cela à Fontaine; la demande qu’elle doit adresser au ministère doit sera appuyée de quelques signatures choisies; c’est ce choix que nous déterminons, Vallette et moi…»
Ou, comment les littérateurs et leurs éditeurs travaillent, dans les bureaux mêmes de la revue, à bien d’autres choses qu’à écrire et à publier. Mais on aurait tort d’analyser l’épisode sous son seul aspect négatif: l’amitié joue ici un rôle central, en l’occurrence celle envers Emmanuel Signoret, poète admiré de Gide, mais décédé alors qu’il n’avait même pas trente ans.
Nouveau témoignage d’amitié deux ans plus tard, à l’occasion de la disparition de Charles-Louis Philippe, lui aussi poète, mais aussi romancier, et l’une des figures majeures de passeurs lors des débuts de La NRF. Charles-Louis Philippe décède à 35 ans, à la fin de 1909, et le Mercure est un temps transformé en succursale d’une agence funéraire –ou, le deuil et les cérémonies liées au deuil comme moment d’amitié et, plus largement, de sociabilité (en définitive, Gide est tellement atteint par la nouvelle qu’il n’ira pas à la levée du corps):
Mercredi [22 décembre] 1909: «Au Mercure de France, où l’édition des œuvres de Lucien Jean qu’il devait préfacer reste en souffrance; pendant que je cause avec Vallette, Chanvin écrits quelques lettres de deuil…»
Poursuivre les amis dans la ville est aussi à l’ordre du jour, en 1912:
12 novembre 1912: «Stupide emploi de matinée [hier]. (…) Au Mercure, ou je n’ai pas trouvé Vallette (je rapportai le volumes des Prétextes, corrigé pour un nouveau tirage); puis à La NRF, où je n’ai pas trouvé Rivière; puis rue d’Assas, où je n’ai pas trouvé Schlumberger…» [Jean Schlumberger, l'un des fondateur de La NRF].
Une quinzaine d’années plus tard, l’environnement est pratiquement le même:
5 janvier 1928: «Puis [passé à la] NRF; puis Mercure. Plaisir à causer avec Vallette, de grand bon sens et d’agréable bonhomie; je crois même de certain cœur». On appréciera cette dernière note, de la part d’une personnalité du monde des lettres, à l’égard d’une personnalité de celui de l’édition.
Mais ce qui nous frappe aujourd’hui plus particulièrement, c’est la dislocation, voire la disparition, de ces modes anciens de solidarités, sous la poussée de plusieurs phénomènes.
La topographie de la très grande ville en est un, les amis que l’on souhaiterait voir ne vivant plus, à Paris, dans un périmètre si étroit que le périple improvisé d'une adresse à l'autre soit encore possible.
La disparition des espaces de rencontre joue aussi son rôle: les maisons d’édition se sont transformées, et les revues, quand elles ont réussi à se survivre à elles-mêmes, n'interviennent plus de la même manière. Il y a une ou deux décennies, la Maison des sciences de l’homme, boulevard Saint-Germain à Paris, a certainement pu remplir cette fonction d’espace ouvert de sociabilité dans le domaine des sciences humaines, mais, là encore, la conjoncture a changé.
Enfin, les techniques de communication et l’économie générale des médias interviennent aussi: Proust communiquait déjà régulièrement par téléphone, Gide le fera bientôt lui aussi, mais l’irruption des médias de masse (radio et télévision), puis celle, plus récente, des nouveaux médias (SMS, courriels et autres systèmes construisant des réseaux sociaux) déplacent aussi en profondeur les pratiques de la sociabilité lettrée, voire de la sociabilité savante, et des configurations sociales les plus larges.
Autant de questions sur lesquelles l'historien ne peut manquer de s’interroger. Enfin, il est frappé par le rôle non seulement de ces «espaces», mais aussi de ces intermédiaires privilégiés, dont le rôle a été si grand, pour l’histoire de la littérature et des idées, à une époque donnée. Quelle histoire de la littérature traite, aujourd’hui, d’Alfred Vallette? André Suarès, constamment présent dans le Journal, est aujourd'hui oublié. Et combien d'autres? Nul doute, à nos yeux, qu’une enquête systématique appliquant les méthodologies de la théorie des réseaux au champ littéraire parisien du début du XXe siècle n’aboutisse à des résultats riches et signifiants.