mardi 4 septembre 2012

Retour à Strahov

De la Contre-Réforme aux développements du joséphisme, peu de bibliothèques comme celle des Prémontrés de Strahov, aux portes de Prague, fonctionnent comme le miroir des évolutions en cours. Rappelons ici que ce sont les Prémontrés de Steinfeld, dans l’Eifel, qui s’installent à Strahov, sur une colline en arrière du château de Prague, en 1142, et qui y construisent peu à peu les bâtiments du monastère. Un scriptorium et une bibliothèque sont bientôt organisés, mais le véritable décollage de la bibliothèque date surtout du XVIIe siècle.
À Strahov: la Salle de Théologie
Le règne de l’abbé Jan Lohelius (1586-1612), plus tard archevêque de Prague, marque un premier temps de renouveau: l’abbé fait affecter à la bibliothèque un capital de 1000 Groschen destiné aux achats de livres, les collections s’accroissent progressivement au cours du XVIIe siècle, et l’ensemble des bâtiments du monastère est progressivement restructuré. En 1678, la bibliothèque possède 5564 volumes: une nouvelle salle, l’actuelle Salle de Théologie, est construite sous le règne de l’abbé Hieronymus Hirnhain, par l’architecte Orsi de Orsini de 1671 à 1679 (elle sera prolongée en 1721, pour accueillir les accroissements de livres). La salle est perpendiculaire à l’église, avec un aménagement en bibliothèque murale (cf. cliché).
Les rayonnages, surmontés d’ornements dorés, datent pour l’essentiel de 1632, dans un décor de stucs et de fresques rococo peintes par le frère František Nosecký et mettant en scène l’ascension de la Vierge, différentes figures illustrant les modalités de la connaissance et son articulation avec la Révélation, et un certain nombre de sentences morales. La salle abrite aussi une collection de globes, dont certains de l’atelier amstellodamois de Blaeu. Le fonds est de 11 023 volumes en 1756, de sorte que les accroissements survenus dans la seconde moitié du siècle imposent bientôt d’étendre les locaux disponibles.
Une seconde salle, la Salle de Philosophie, sera par conséquent construite en symétrie à la fin du XVIIIe siècle, dans une conjoncture intellectuelle radicalement renouvelée: les deux bâtiments de la bibliothèque déterminent ainsi les grands côtés d'une cour quadrangulaire jouxtant l'église.
Les réformes engagées par Joseph II à Vienne toucheront en effet très directement le monde des bibliothèques: c’est la mise en œuvre de la «philosophie», avec les décrets établissant la tolérance religieuse, la liberté de publication, l’enseignement obligatoire, etc., en même temps qu’avec l'application systématique d’une rationalité politique qui se heurtera à des oppositions résolues (entre autres, contre l’emploi généralisé de l’allemand dans l’administration). Un très grand nombre de maisons religieuses sont fermées par Joseph II, ce qui implique le transfert ou la dévolution de leurs collections de livres.
Lorsque les Prémontrés de Strahov souhaitent, à l’inverse, agrandir leur bibliothèque, l’abbé Wenzel (Venceslas) Meyer, lui-même franc-maçon, adopte pour la façade un style néo-classique organisé autour du portrait de l’empereur en médaillon. L’accord de Vienne ayant été obtenu, Ignaz Palliardi présente les plans du nouveau bâtiment, lequel est élevé en deux ans seulement (1782-1784): c’est l’actuelle Salle de Philosophie (cf. cliché), avec des rayonnages muraux en noyer, sur deux niveaux séparés par une galerie. Le mobilier a été transporté du monastère de Louka, en Moravie du Sud, lequel avait été fermé.
Le style adopté est désormais le style classique, et l’ensemble surmonté par une fresque monumentale dans laquelle Anton Maulpertsch développe une histoire de la pensée (1794): d’un côté, l’Ancien Testament, avec l’Arche d’alliance et les Tables de la Loi; de l’autre, le Nouveau Testament, avec l’autel du «Dieu inconnu» croisé par l’apôtre Paul à Athènes. La «véritable sagesse» symbolisée par le peintre est celle de la connaissance éclairée par la Révélation, et la fresque met aussi en scène les deux personnages de Diderot et de Voltaire qui illustrent l’échec d’une philosophie réduite à ses seules forces...

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