dimanche 23 septembre 2012

Histoire des bibliothèques: le décor

L’histoire des bibliothèques comme champ interdisciplinaire
L’histoire des bibliothèques et des collections de livres constitue par définition un domaine scientifique transversal.
Il se rattache en effet à l’histoire du livre proprement dite, mais, bien évidemment, les bibliothèques intéressent aussi les historiens des idées (y compris des idées politiques), voire les historiens des différents domaines scientifiques –on sait que les bibliothèques ont constitué les laboratoires où la réflexion intellectuelle a pu s’élaborer et se développer.
La bibliothèque de l'université de Coimbra, ou les livres au service de la gloire royale
Mais l’histoire des bibliothèques intéresse aussi l’histoire de l’art: d’une part, elles ont longtemps (parfois jusqu’à aujourd’hui) suivi le modèle classique du «Musée» d’Alexandrie, dans lequel on trouve, à côté des livres, les «trésors», galeries de «curiosités», voire collections d’art (par exemple, pour ne pas quitter la France, la bibliothèque de l’abbaye de Sainte-Geneviève, ou encore la Bibliothèque / Musée de Besançon). Par ailleurs, les historiens d’art sont attentifs aux éléments relevant de l’architecture des bibliothèques, et de leur décor (ce qu’avait en son temps montré le colloque commémoratif organisé par Jean-Michel Leniaud sur Ernest Labrouste et la nouvelle Bibliothèque Sainte-Geneviève).
Trois approches convergentes
Paradoxalement, l’histoire des bibliothèques et des collections de livres constitue un domaine relativement négligé par la recherche, et cela jusqu’à aujourd’hui.
1- Les travaux scientifiques ont d’abord privilégié l’analyse des contenus: quels livres sont ou étaient présents dans telle ou telle bibliothèque? À quel modèle la bibliothèque correspond-elle (bibliothèque encyclopédique ou spécialisée, bibliothèque de travail ou de récréation, bibliothèque privée ou bibliothèque plus ou moins ouverte au public, etc.)?
Dans un environnement protestant: la bibliothèque de Görlitz
2- Ces perspectives ont souvent été développées aux dépens d’une approche que nous pourrions dire «archéologique»: il s’agit d’étudier les locaux de la bibliothèque, leur aménagement (le mobilier!), la distribution des salles, le rangement des collections et leur accessibilité, l’élaboration des instruments de travail tels que catalogues et fichiers, etc. Nous pouvons regrouper ces différentes questions sous le paradigme d’«économie des bibliothèques» (alias la bibliothéconomie au sens large).
3- Un troisième angle d’approche doit aussi être envisagé: il concerne l’étude des pratiques (y compris les pratiques professionnelles, relevant elles aussi de la bibliothéconomie) qui sont à l’œuvre dans telle ou telle bibliothèque, selon par exemple que nous sommes devant une collection privée ou «publique», que cette dernière est plus ou moins largement ouverte, à des groupes d’utilisateurs sont plus ou moins largement définis, etc.
Bien évidemment, ces trois approches principales se superposent toujours pour partie: par ex., la nature de la collection détermine pour partie ses utilisations possible, donc le public des lecteurs, etc. On sait que lorsque la Hofbibliothek de Vienne est ouverte en 1726, le décret impérial prévoit que chacun pourra y accéder, exception faite des «idiots, domestiques, oisifs, bavards et badauds»…
L’invention de la bibliothéconomie et de la bibliothèque modernes
À la Palatina de Parme, la salle Maria Luigia, néo-classique s'il en fut
C’est pour explorer la seconde de ces directions de recherche qu’un groupe d’historiens s’est réuni en 2010 autour du thème de «La bibliothéconomie des Lumières». L’idée était de décliner les différents éléments du paradigme que constitue l'«économie des bibliothèques», à une époque où celles-ci sont l’objet d’évolutions majeures –la chronologie couvre une période allant de la fin du XVIIe au début du XIXe siècle (pour situer les choses, rappelons que l’ouverture de la Bibliothèque du Collège des Quatre Nations à Paris date de 1688, et que le projet définitif proposé par Henri Labrouste pour la nouvelle Bibliothèque Sainte-Geneviève est officiellement accepté en 1843).
Au cours de cette période, le principe de la wall library (bibliothèque dans laquelle les volumes sont disposés non plus sur des pupitres, mais sur des rayonnages le long des murs de la salle de lecture) domine généralement, mais des évolutions majeures se font jour, parmi lesquelles nous mentionnerons tout particulièrement:
-Les conceptions nouvelles dans la construction des bibliothèques (avec par ex. la nouvelle bibliothèque de Wolfenbüttel, élevée d’après les projets de Leibniz en 1710).
-Les outils modernes de la bibliothéconomie, comme l’utilisation des fiches en place des registres, à la Palatina de Parme à partir de 1769 (série de clichés sur Parme et sur la bibliothèque).
-La réflexion développée sur le rôle de la bibliothèque, sur la théorie de la bibliothéconomie et sur la profession de bibliothécaire: il s’agit par ex. de l’accessibilité des collections à un public plus large, de l’aménagement du cadre de classement, ou encore de l’insertion de la bibliothèque dans une institution d’enseignement et de recherche (cas de l’université de Göttingen).
Au service de la modernité et de l'identité nationales: la bibliothèque de Keszthely
L’importance des évolutions est telle que l’on peut à bon droit considérer la période comme le temps de fondation des bibliothèques et de la bibliothéconomie modernes (entendons, le modèle des bibliothèques publiques modernes, tel qu'il s'impose au XIXe siècle). Un premier colloque s'est tenu en mai 2011 à la Biblioteca Palatina de Parme, colloque consacré à la gestion matérielle des bibliothèques des Lumières (sous le titre: Un instituzione dei Lumi: la biblioteca).
Ce colloque mettait l’accent sur les aspects matériels de l’histoire des bibliothèques, et il a permis d’aborder la mise en place d’un certain nombre de nouveautés (par ex. dans la gestion des bibliothèques vénitiennes), mais aussi les problématiques de l’acquisition (la collection Vettori à Mannheim), de l’édition et de la diffusion des catalogues imprimés (comme à la Bibliothèque royale à Paris), de la classification systématique ou encore de la gestion quotidienne et de l’actualisation des fonds (avec le très bel exemple de Saint-Vincent du Mans). Les Actes en sont aujourd’hui sous presse dans l’annuaire Bodoni, dont ils doivent constituer la livraison 2012.
Un second colloque est en préparation pour 2013, qui devrait se tenir à la bibliothèque de l'École des Hautes Études de Eger, et porter sur le décor des bibliothèques.Nous recevrons avec plaisir toutes les suggestions et propositions de communication pour ce colloque.
(tous les clichés © Frédéric Barbier)

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