jeudi 28 juin 2012

Le Mariage de Figaro

Né à Paris en 1732, Pierre Augustin Caron de Beaumarchais est une figure très moderne, par la conscience qu'il a des mutations intervenant dans le domaine des médias au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. À ce titre, Beaumarchais intéresse très directement l'historien du livre.
Beaumarchais est évidemment d'abord connu comme un auteur et comme un journaliste, mais il est aussi un entrepreneur, un éditeur et un homme d’affaires, qui maîtrise parfaitement toutes les techniques de la «publicité»: le voici qui participe à la fondation du Courrier de l’Europe, qui s’engage pour les insurgés américains, qui crée la Société des auteurs dramatiques, qui lance l’édition des Œuvres complètes de Voltaire, dite «Édition de Kehl» et qui fonde pour ce faire la Société littéraire et typographique de Kehl...
Entre la publication de la Lettre de Diderot sur le commerce de la librairie (1763) et la réorganisation de la «librairie» du royaume de France par les arrêts de 1777, nous sommes en pleine période de débats sur le statut et sur le rôle du média imprimé, sur la censure et sur le contrôle exercé par l’administration sur la branche. Le dossier du Mariage illustre pleinement cette conjoncture.
On sait que, après le Barbier, le Mariage de Figaro est l’une des pièces les plus célèbres de Beaumarchais, que celui-ci termine en 1778, pour répondre à un défi de Louis François de Bourbon-Conti, l'un des opposants les plus notoires du trône:
«Feu M. le prince de Conti, de patriotique mémoire, me porta le défi public de mettre au théâtre ma Préface du Barbier, plus gai, disait-il, que la pièce, & d’y montrer la famille de Figaro, que j’indiquais dans cette Préface» (p. XII). La pièce est rédigée, le prince la lit et l’approuve, mais Beaumarchais est surchargé de travail, tandis que le Mariage fait scandale. En 1781 seulement, il est lu et reçu à la Comédie française, mais le roi refuse d’en autoriser la représentation. Le débat devient public: des extraits sont lus en société, avant que le Mariage ne soit donné pour la première fois, en représentation privée, au château de Genevilliers, par le marquis de Vaudreuil et ses hôtes, le 26 septembre 1783.

Dès lors, les rapports de force évoluent: le baron de Breteuil, ministre de la Maison du roi, estime la représentation possible, la pièce est approuvée par les deux censeurs Coquely de Chaussepierre et Bret les 21 et 28 février 1784, avant que le «permis d’imprimer & représenter» ne soit délivré le 29 mars suivant par Le Noir, qui a succédé à Sartine à la lieutenance de police.
Le Mariage est donc donné en public, pour la première fois, le 27 avril 1784. Comme il est de règle, la controverse est facteur de succès, et l'on sait que la pièce a marqué les esprits par le triomphe qu’elle reçut, et par le montant extraordinaire de la recette qu’elle procura (80000f. à l’auteur en deux ans). Laffont et Bompiani rapportent qu'il y eut 67 représentations en 1784, 26 en 1785-1786 et encore 85 de 1787 à 1790...
Mais, dans l’intervalle, Beaumarchais veut ajouter à son texte une importante préface, pour laquelle de nouvelles autorisations sont nécessaires avant de pouvoir imprimer. La Préface est approuvée par Bret, puis autorisée par Le Noir (25 et 30 janvier 1785). L’ouvrage sort donc pour la première fois avec l’achevé d’imprimer du 28 février 1785: cette première édition est publiée sans gravures, mais on réalisera ensuite un deuxième tirage avec les cinq gravures de Malapeau et de Roi d’après Philippe de Saint-Quentin (achevé d’imprimer à la date du 28 avril). Le tirage initial aurait été de mille exemplaires.
On remarque, au verso de l’avant-titre, une liste nominative de onze libraires français et un libraire de Bruxelles chez lesquels on peut se procurer le volume: Beaumarchais et Ruault sont tous deux des professionnels de la librairie, très attentifs à contrôler autant que possible la diffusion et à barrer la contrefaçon. Ils publient d’ailleurs, parallèlement à la première édition, une édition illustrée destinée au marché étranger, toujours à l’adresse de Ruault mais sortant des presses de la Société littéraire-typographique de Kehl.
Cette attention est confirmée par l’ «Avis de l’éditeur» figurant en bas de page: «Par un abus punissable, on a envoyé à Amsterdam un prétendu manuscrit de cette pièce, tiré de mémoire & défiguré, plein de lacunes, de contre-sens et d’absurdités. On l’a imprimé & vendu en y mettant le nom de M. de Beaumarchais. Des comédiens de province se sont permis de donner & représenter cette production comme l’ouvrage de l’auteur: il n’a manqué à tous ces gens de bien que d’être loués dans quelques feuilles périodiques». Le paratexte a donc un rôle décisif dans le dossier du Mariage: la Préface occupe les pages I – L, et elle est suivie du détail des «Caractères et habillements de la pièce» (p. LI – LVI). La pièce elle-même est enrichie de didascalies, donnant la succession des personnages, et précisant la mise en scène et, le cas échéant, certaines situations.
Pour autant, plusieurs contrefaçons sont publiées, l’une, on l'a vu, à Amsterdam, et deux autres à Lyon, «d’après la copie envoyée par l’auteur».
Le Mariage est ainsi un livre emblématique d'un certain nombre de problèmes majeurs agités dans les dernières décennies de l'Ancien Régime, y compris s'agissant du statut de l'auteur.

Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, La Folle journée, ou le Mariage de Figaro. Comédie en cinq actes, en prose, par M. de Beaumarchais. Représentée pour la première fois par les Comédiens Français ordinaires du Roi, le mardi 27 avril 1784, Au Palais-Royal, chez Ruault, libraire, près le Théâtre, n° 216, M.DCC.LXXXV (A Paris, de l’imprimerie de Ph.-D. Pierres, imprimeur ordinaire du Roi, &c),
[4-]LVI-237 p., 1 p. bl., 8°.
A la fin du texte de la pièce, p. 236, se trouve la mention: «S’adresser pour la Musique de l’ouvrage, à M. Baudron, Chef d’Orchestre du Théâtre Français».
Cordier (Bibliographie de Beaumarchais), 128. Tchémerzine, I, 491. Soleinne, 299. Conlon, 85/837. En français dans le texte, 178.
Contient : Avant-titre. Au v°: liste des libraires distribuant l’ouvrage, et avis de l’éditeur. Titre, avec un fleuron (bois gravé représentant une casse, une presse, des livres et différents outils d’imprimerie. Préface. Caractères et habillemens de la pièce. Approbation du 15 janvier 1785 (p. LVI). Titre de la pièce (p. 1) et distribution des rôles (p. 2). Le Mariage de Figaro. Approbation du 28 février 1784.

1 commentaire:

  1. Anne-Laure Blanc17 avril 2023 à 21:17

    Bonjour,
    J’ai trouvé chez un libraire une édition de 1785, avec la seule mention de Paris. Edition non reliée mais cousue avec une couverture en « papier à sucre ». Sans mention donc de librairies ou d’éditeur. La connaissez-vous ? Ou manquerait-il une page? Bien cordialement, Anne-Laure Blanc alblanc@free.fr

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