vendredi 20 avril 2012

Histoire du livre aux Pays-Bas (XVe-XVIIe siècles)

C’est faute de compétences linguistiques suffisantes que les historiens du livre négligent trop souvent le cas pourtant très important des «anciens Pays-Bas», et plus particulièrement de leur partie nord, qui correspond à la géographie politique des actuels Pays-Bas. Rappelons que nous sommes, au bas Moyen Âge, dans l’espace privilégiée de la piété nouvelle, la devotio moderna, dont tous les auteurs ont souligné le lien qu’elle entretient avec l’essor de l’alphabétisation, avec le passage à des pratiques individuelles de lecture et, in fine, avec les développements de l’économie du livre en général. Les Frères de la Vie commune, qui sont les initiateurs du mouvement, s’établissent d’abord à Deventer (où Gert Groote naît en 1340) et à Zwolle. Le recueil de l’Imitation de Jésus-Christ, le plus grand succès de la librairie occidentale après la Bible, naît dans leur obédience, et il sera très rapidement (et très longtemps) diffusé partout.
De manière pratiquement concomitante, la poussée de la demande en livres provoque l’apparition, dans cette même géographie, de techniques «proto-typographiques» permettant de reproduire les textes: il s’agit certainement de xylographies, peut-être de caractères et groupes de caractères gravés dans le bois et combinés entre eux, voire parfois de procédés mal aboutis faisant déjà appel au métal. Sur la place principale de Haarlem, la statue de Laurent Coster commémore toujours celui qui est proclamé le véritable inventeur de la typographie en caractères mobiles, une vingtaine d’années avant Gutenberg… (cliché 1).
On sait d’autre part que les Pays-Bas se caractérisent à la fois, dans la seconde moitié du XVe siècle, par la pénétration précoce de l’imprimé et par la place globalement tenue dans la production par les textes en langue vernaculaire, en l’occurrence le flamand. La ville hanséatique de Deventer prend rang parmi les dix premiers pôles d’impression dans l’Europe des incunables: son école latine accueille successivement Thomas a Kempis, le futur pape Adrien VI, Érasme, et beaucoup d’autres (cliché 2).
Le second XVIe siècle pourrait être qualifié de «siècle de fer» s’il n’était déjà pour partie le «siècle d’or»: les Pays-Bas sont intégrés à l’empire de Charles Quint, mais, après l’abdication de l’empereur (1555), ils passent sous l’obédience de Philippe II d’Espagne. Or, si Charles Quint, né à Gand, était attaché aux anciens territoires bourguignons, Philippe II résidera pratiquement toujours en Espagne et, surtout, sa politique vise avant tout à préserver l’orthodoxie catholique quand la pénétration de la Réforme se fait de plus en plus sensible dans la géographie des Pays-Bas.
Le pays confié en 1558 par le roi au stathouder (gouverneur) Guillaume d’Orange, dit le Taciturne (la Hollande, la Zélande et Utrecht), bascule progressivement dans la révolte, et la noblesse locale (les «Gueux») joue un rôle décisif dans l’essor du mouvement. Par ailleurs, les Pays-Bas, qui disposent d'États provinciaux, sont peu disposés à obéir à une monarchie absolutiste lointaine. La révolte ouverte est déclarée en 1568, et l’Union d’Utrecht scelle en 1579 l’alliance de cinq provinces (Hollande, Zélande, Utrecht, Groningue et Gueldre): la lutte contre l’Espagne ne prendra fin qu’au terme de la «Guerre de quatre-vingts ans», avec les traités de Westphalie (1648) par lesquels est définitivement reconnue l’indépendance des Provinces-Unies.
Or, la crise religieuse, la guerre et la conquête de l’indépendance sont des temps forts pour la publicistique, donc a posteriori pour l’histoire du livre. Nous ne ferons que mentionner ici la fondation de l’université de Leyde par Guillaume le Taciturne, en 1575, fondation qui fera bientôt de la ville un pôle éditorial de première importance –il n’est que de penser à la dynastie des Elsevier.
Arrêtons-nous plutôt aujourd’hui sur l’essor d’une production de pièces de circonstances, textes réglementaires, nouvelles et canards, attaques des uns et des autres, polémiques de toutes sortes, sans oublier les caricatures –le duc d’Albe figuré en hydre, mangeant un enfant et agitant, de ses multiples bras, les pantins de Guise, de Granvelle (un étranger...) et de plusieurs autres, tout en piétinant des cadavres. L’économie des pièces de polémique s’impose certes d’abord en Allemagne avec la Réforme luthérienne, mais les Pays-Bas de la Guerre de quatre-vingts ans constituent aussi une de leur géographie de prédilection: la présence de colporteurs et de marchands ambulants en porte éloquemment témoignage (cliché 3).
Légendes des clichés: 1) Statue de Laurent Coster, sur la grande place de Haarlem; 2) Production imprimée en vernaculaire dans les dix premiers centres éditoriaux d'Europe au XVe siècle (source: Philippe Niéto, dans Mélanges Aquilon; 3) Colporteurs des Pays-Bas au XVIIe siècle (Prinsenshof, Delft).

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