lundi 31 octobre 2011

Histoire du livre au Brésil

Vient de paraître:
Marisa Midori Deaecto, O Império dos livros: istituções e práticas de leitura na São Paolo ottocentista,
São Paolo, Edusp, 2011, 448 p., ill., cartes et graph.

Sommaire
Préface, par Jean-Yves Mollier
Introduction
Ière partie: São Paolo, cidade espiritual
IIème partie: No império das lettras
IIIème partie: A cidade e os livros
IVème partie: Circulação et consumo
Qual o sentido de todo isso ?

Voici un livre remarquable sur plusieurs plans.
D'abord, le point de vue intellectuel: l'ouvrage témoigne éloquemment des développements continus de l’histoire du livre, et de la prise en compte de géographies jusqu’à aujourd’hui quelque peu méconnues –en l’occurrence, le Brésil, et plus précisément São Paolo au XIXe siècle. Les perspectives de la problématique sont très riches et très actuelles, puisqu’il s’agit tout à la fois d’envisager la «seconde révolution du livre», mais aussi la conjoncture spécifique d’une ancienne colonie ayant récemment pris son indépendance, ou encore le développement des transferts culturels et celui d’une identité nationale en construction.
Sur le plan de la méthode, la perspective privilégie l’histoire de la lecture, de ses pratiques et de ses «institutions», mais elle engage nécessairement aussi l’histoire sociale, l’histoire culturelle et l’histoire économique, l’anthropologie historique, etc. La parfaite connaissance que l’auteur a des travaux d’histoire du livre en Europe explique que sa recherche s’inscrive pleinement dans la tradition développée tout particulièrement en France depuis la publication de L’Apparition du livre de Febvre et Martin en 1958. O Império dos livros est en effet un essai d’histoire totale organisée autour du média imprimé, et à ce titre il remplit très fidèlement et actualise le programme des premiers promoteurs de notre discipline.
Enfin, l’historien, qui est aussi un amateur de livres, ne peut qu'apprécier la forme matérielle particulièrement soignée qui a été donnée à ce travail exemplaire. On apprécie l’élégance de la jaquette, tandis que la richesse de l’illustration aide à se familiariser avec une réalité parfois moins connue. L’utilisation de la couleur, le cas échéant sur double page, est devenue quelque chose de trop rare dans les publications scientifiques pour que nous ne soulignions pas combien O Império dos livros est exceptionnel aussi en tant qu’objet. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
L’ouvrage se referme avec une importante partie consacrée aux sources et à la bibliographie, et avec un index onomastique.

vendredi 28 octobre 2011

Histoire du livre: Condorcet et les Idéologues

L’organisation des bibliothèques françaises sous la Révolution est largement inspirée par ceux que l’on appelle les Idéologues. Ce petit groupe, dont Claude Jolly est aujourd’hui le spécialiste, est constitué de personnalités âgées d’une quarantaine d’années à la fin du siècle. Ce sont des rationalistes libéraux, favorables à la Révolution (mais pas à la Terreur): Cabanis, Destutt, Say, Volney, Lakanal, Condorcet, Daunou, et d’autres. Sieyès en est relativement proche.
Leur fidélité aux idéaux de 1789 contribuera à les faire mettre à l’écart dès lors que le pouvoir absolu s’imposera de plus en plus sous le Consulat et sous l’Empire.
Mais pourquoi cet intérêt pour le livre? L’idée de progrès organise la théorie de l’histoire telle qu’exposée dans le traité posthume de Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (Paris, Agasse, an III. Imprimerie de Boiste).
À l’origine, le langage articulé est la condition de la pensée, et l’utilisation systématique de signes, surtout oraux ou écrits, l’outil rendant possible le progrès. Par suite, celui-ci s’appuiera notamment sur les transformations du média.
L’écriture seule autorise la conservation et la diffusion des connaissances. Condorcet distingue les écritures idéographiques, phonographiques et alphabétiques: les premières suivent le principe de la «peinture», chaque objet étant désigné par sa représentation. Elles sont plus difficiles à maîtriser, et caractériseraient des sociétés organisées en castes (comme en Orient, et notamment en Chine). L’écriture phonographique n’est pas directement analysée. Elle introduit un double niveau de codage: à la manière d’un rébus, les signes écrits désignent non pas l’objet, mais le signe oral désignant cet objet (par exemple le dessin d’un chat signifiera le son cha dans un mot comme chapeau).
Condorcet met surtout l’accent sur l’écriture alphabétique, la plus efficace, puisqu’un très petit nombre de signes permet de transcrire tous les énoncés. Plus facile à apprendre, elle autorise une éducation plus largement partagée, et les sociétés qui l’utilisent sont des sociétés ouvertes et participatives. Pour Condorcet d'autre part, la décadence des civilisations de l’Antiquité classique est due à l’essor de l’Église de Rome, et à la destruction des manuscrits et des bibliothèques:
Les sciences auroient pu [être préservées de la décadence] si l’art de l’imprimerie eût été connu; mais les manuscrits d’un même livre étoient en petit nombre: il falloit, pour se procurer des ouvrages qui formoient le corps entier d’une science, des soins, souvent des voyages et des dépenses auxquelles [sic] les hommes riches pouvoient seuls atteindre. Il étoit facile au parti dominant [l’ Église] de faire disparoître les livres qui choquoient ses préjugés ou démasquoient ses impostures. Une invasion des barbares pouvoit, en un seul jour, priver pour jamais un pays entier des moyens de s’instruire. La destruction d’un seul manuscrit étoit souvent, pour toute une contrée, une perte irréparable (…). Il étoit donc impossible que les sciences (…) pussent se soutenir d’elles-mêmes et résister à la pente qui les entraînoit rapidement vers leur décadence. Ainsi l’on ne doit pas s’étonner que le christianisme, qui dans la suite n’a point été assez puissant pour les empêcher de reparoître avec éclat, après l’invention de l’imprimerie, l’ait été alors assez pour en consommer la ruine (p. 136-138).
L’histoire universelle est divisée par Condorcet en dix époques, dont la septième se clôt avec l’invention de l’imprimerie. Elle seule permet à l’«esprit de liberté et d’examen» de «devenir assez puissant pour délivrer une partie de l’Europe du joug de la cour de Rome» (p. 167-168). Sans s’attarder à l’invention elle-même, la huitième époque en présente les conséquences:
L’imprimerie multiplie indéfiniment et à peu de frais les exemplaires d’un même ouvrage. Dès lors, la faculté d’avoir des livres, d’en acquérir suivant ses goûts et ses besoins, a existé pour tous ceux qui savent lire; et cette facilité de la lecture a augmenté et propagé le désir et les moyens de s’instruire (…). Les lumières sont devenues l’objet d’un commerce actif, universel (p. 186).
Elle permet de former une «opinion publique» puissante, facilite la diffusion la plus large des lumières et instaure le règne de la raison triomphante: il est en effet impossible de contraindre absolument le média, ou, comme le dit Condorcet, de « fermer assez exactement toutes les portes par lesquelles la vérité cherche à s’introduire » (p. 191). C'est l'imprimerie qui assure le succès de la Réforme luthérienne: 
Les livres allemands des nouveaux apôtres pénétroient en même-temps dans toutes les bourgades de l’empire, tandis que leurs livres latins arrachoient l’Europe entière au honteux sommeil où la superstition l’avoit plongée (p. 199).
La formule même de « martyrs de la liberté de penser » est par ailleurs appliquée aux défenseurs de l’athéisme et du rationalisme (p. 204). Mais le terme de l’histoire est atteint avec la Révolution, lorsque les lumières ont acquis une diffusion telle que la majorité de la population a basculé de leur côté, d’abord en Amérique avec la Guerre d’indépendance (p. 271 et suiv.), puis en France. Le moteur du changement réside à nouveau dans le média:
L’art de l’imprimerie s’étoit répandu sur tant de points, il avoit tellement multiplié les livres, on avoir su les proportionner si bien à tous les degrés de connoissance, d’application et même de fortune ; on les avoit plié avec tant d’habileté à tous les goûts, à tous genres d’esprit ; ils présentoient une instruction si facile, souvent même si agréable ; ils avoient ouvert tant de portes à la vérité, qu’il étoit devenu presque impossible de les lui fermer toutes, qu’il n’y avoit plus de classe, de profession à laquelle on pût l’empêcher de parvenir… (p. 263).
L’attention des idéologues arrivés aux affaires à l’époque de la Révolution sera tout particulièrement consacrée à l’économie du média et aux conditions de la diffusion la plus large des lumières, par l’enseignement et par la mise à disposition de livres. S’ils distinguent soigneusement l’éducation des élites intellectuelles et celle du peuple, la double question, de l’école, du livre et des bibliothèques, est pour eux absolument stratégique. Quant à la question de savoir dans quelle mesure les nouveaux «livres nationaux» saisis notamment sur le clergé sont adaptés à ces objectifs, elle reste bien posée.

lundi 24 octobre 2011

La bibliothèque de Marie-Antoinette

La soutenance très récente d’une thèse sur La Bibliothèque du comte d’Artois a été l’occasion, grâce à l’un des membres du jury, d’évoquer les bibliothèques des membres de la famille royale à Versailles au XVIIIe siècle, et de revenir sur un exemple intéressant relatif à la dauphine Marie-Antoinette. La question posée est notamment celle de savoir dans quelle mesure il s’agit de collections constituées par les bureaux en fonction de ce que l’on pensait convenable et utile.
Le personnage central est ici Jacques Nicolas Moreau, un avocat qui a fait carrière dans les bureaux des finances à l’époque où François de L’Averdy en est contrôleur général: ce dernier n’a aucune formation pour ce poste, mais il est le représentant des Parlements, l’ami du duc de Choiseul et l’adversaire résolu des jésuites.
À la suite du mariage du dauphin (1770), Moreau, «intendant de la Maison et général des Finances», est nommé comme bibliothécaire de Marie-Antoinette, alors âgée d’une quinzaine d’années. Il entreprend de constituer une collection des livres estimés indispensables en vue de la formation de la jeune fille, et commence parallèlement à publier une série de petits volumes présentant le fonds: Bibliothèque de Madame la Dauphine. Seul le tome I sortira en définitive:
Bibliothèque de Madame la Dauphine; N° I. Histoire, À Paris, chez Saillant et Nyon, et chez Moutard, 1770 (imprimerie de Lambert, 1771). Frontispice de Eisen (cf. cliché).
Le principe est de proposer un catalogue de livres choisis, et Moreau explique:
On a cru devoir joindre ici, par forme de supplément, un triage des meilleurs Livres François dont on puisse composer une Bibliothèque historique. Lorsque l’on se sera bien approprié le plan tracé dans cet Essai, on peut, sans danger, multiplier les lectures; en comparant les témoignages, on s’assurera la preuve des faits, sans craindre de les confondre et de les déplacer (p. 158).
On soulignera la présence de certaines expressions, témoignant des conceptions sans doute quelque peu traditionnelles de Moreau sur les pratiques de lecture: il existe bien des livres «meilleurs» que les autres, et surtout, la «multiplication des lectures» suppose quelques précautions. Il convient donc de se fixer une ligne générale d’interprétation pour pouvoir élargir «sans dangers» ses curiosités. Sans nous arrêter aux idées apparemment assez sommaires de Moreau sur la philosophie de l’histoire et sur la question de la causalité (voir aussi p. 14 et suiv.), nous revenons dans un instant sur la «méthode» qu’il présente comme nécessaire.
La liste des titres  comprend 166 numéros, exclusivement en français (parfois traduits), et classés systématiquement: Histoire universelle, puis Histoire ancienne, Histoires modernes par pays (France, Allemagne, Espagne et Portugal, Italie, Angleterre, Républiques de Hollande, des Suisses et de Genève, Royaumes du Nord). Puis viennent l’Histoire de l’Asie, celle de l’Afrique et celle de l’Amérique (pour cette dernière, trois titres seulement…). On ne peut se défaire de l’impression qu’il s’agit peut-être aussi d’une opération de promotion pour la librairie Saillant et Nyon, étant donné le grand nombre de titres à cette adresse figurant dans la liste.
Mais l’essentiel du volume concerne le commentaire de Moreau. Celui-ci explique, dans l’Avertissement liminaire:
Je voulois d’abord ne faire qu’un Catalogue raisonné des Livres de Madame la Dauphine; j’ai cru que la servirais plus utilement en lui présentant successivement, sur tous les objets dont ses Livres peucvent l’entretenir, un plan qui la mît à portée de les saisir plus facilement, & de les ranger avec plus d’ordre dans sa mémoire.
Il s’agit, en somme, d’une manière de miroir du prince présenté sous couvert de conduire sa formation et ses réflexions. Certaines formules reviennent sur le problème de la lecture, notamment en s’appuyant sur la métaphore de la lumière : «Si l’obscurité nous égare, trop de lumière éblouit» (p. 6). La question du genre est abordée, avec une image qui exhibe des «lois de la Nature» pour faire de la femme l’auxiliaire de l’homme («on ne croit point leur obéir, on leur cède toujours», p. 8).
Il est significatif de voir le programme de Moreau aussitôt brocardé par Grimm dans la Correspondance littéraire de janvier 1771:
L’avocat Moreau qui (…) est devenu depuis quelques mois bibliothécaire de madame la Dauphine, ne veut pas être un bibliothécaire en herbe; il veut verbiager (…). Il veut encore être son docteur et son instituteur [de la dauphine]. En conséquence, il traite dans sa brochure (…) trois point, savoir: l’objet moral de l’étude de l’histoire; la carte générale des empires dont l’histoire offre la succession; Plan de lectures, et suite des livres français qui peuvent nous instruire de l’histoire (…). [Ce] dernier [point] exige une critique éclairée et sage, qui indique moins les livres médiocres ou mauvais que nous avons, que les bons qui nous manquent. M. Moreau (…) n’est sur les trois points qu’un bavard, qu’un phrasier d’autant moins estimable qu’on voit à chaque instant qu’il écrit contre sa pensée. Il n’y a pas dans toute sa brochure un mot qui s’adresse à l’âme d’une jeune princesse; et où le prendrait-il? dans la sienne? Est-ce qu’un courtisan peut en avoir une? (…).
Je ne sais pourquoi je me fâche… et encore contre M. Moreau, que je n’ai jamais vu, que je n’estime pas et qui devrait par conséquent m’être bien indifférent.
Les critiques de Grimm ont peut-être eu un effet sur la diffusion du volume, puisque ce tome I de la Bibliothèque de Madame la Dauphine est apparemment le seul qui ait été publié. L'analyse sérielle des fonds de bibliothèques est très généralement difficile, mais elle l'est encore plus dans le cas d'un membre de la famille royale comme la dauphine, bientôt la reine, qui a des bibliothèques notamment à Versailles et aux Tuileries. Paul Lacroix, conservateur à l'Arsenal, avait publié en son temps une plaquette sur La Bibliothèque de la reine Marie-Antoinette au Pertit Trianon (Paris, Jules Gay, 1863). Nous laissons ici cette problématique de côté, pour envisager plus particulièrement le rôle du bibliothécaire et la fonction de la bibliothèque dans la famille royale de France en ce dernier tiers du XVIIIe siècle.

dimanche 23 octobre 2011

EPHE, Conférence d'Histoire et civilisation du livre, 2011-2012


École pratique des hautes études,
IVe Section (Sciences historiques et philologiques)
Conférence d’Histoire et civilisation du livre
Calendrier des conférences pour l’année universitaire 2011-2012

Monsieur Frédéric Barbier, directeur d’études, directeur de recherche au CNRS (IHMC/ ENS Ulm): «Histoire des bibliothèques»
Madame Emmanuelle Chapron, maître de conférences à l’université de Provence
Monsieur Jean-Dominique Mellot, conservateur en chef à la Bibliothèque nationale de France
2011
14 novembre, 16h 
Ouverture de la conférence: Introduction à la recherche en histoire du livre (1), par M. Frédéric Barbier
21 novembre
14h La librairie scolaire sous l'Ancien Régime (1), par Mme Emmanuelle Chapron, chargée de conférences
16h À propos des bibliothèques en Bohème, par Mme Claire Madl, docteur de l’EPHE, responsable de la bibliothèque du CEFRES (Prague)
28 novembre
14h La librairie scolaire sous l'Ancien Régime (2), par Mme Emmanuelle Chapron
16h Introduction à la recherche en histoire du livre (2), par M. Frédéric Barbier
5 décembre, 16h Les bibliothèques de la noblesse sous l’Ancien Régime (1), par M. Frédéric Barbier
12 décembre, 16h Les bibliothèques de la noblesse sous l’Ancien Régime (2): la famille de La Rochefoucauld, par M. Frédéric Barbier
19 décembre pas de conférences (vacances de Noël)
26 décembre pas de conférences (vacances de Noël)

2012
2 janvier pas de conférence
9 janvier (séance à la Bibliothèque Mazarine, de 16h à 19h environ)
16h Gabriel Naudé, par M. Frédéric Barbier
17h30 La Bibliothèque Mazarine et Gabriel Naudé, par M. Yann Sordet, directeur de la Bibliothèque Mazarine
16 janvier
14h Les bibliothèques des collèges britanniques à Paris, par Mme Emmanuelle Chapron  
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16h La Bibliothèque des La Rochefoucauld par M. Frédéric Barbier
23 janvier, 16h Un glossaire de l'histoire du livre, par M. Frédéric Barbier
30 janvier
14h Ursulines et frères des écoles: des livres pour les écoles, par Mme Emmanuelle Chapron
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16h Corporations du livre, vie des ateliers et main-d'œuvre typographique sous l'Ancien Régime (1), par M. Jean-Dominique Mellot
6 février, 16h Classements et catalogues de bibliothèques sous l’Ancien Régime, par M. Frédéric Barbier
13 février
16h Un glosssaire de l'histoire du livre (2), par M. Frédéric Barbier
20 février pas de conférence (vacances d’hiver)
27 février, 16h Corporations du livre, vie des ateliers et main-d'œuvre typographique sous l'Ancien Régime (2), par M. Jean-Dominique Mellot
5 mars
14h Bibliothèques excentrées: les savants méridionaux et leurs livres, par Mme Emmanuelle Chapron
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16h Les bibliothèques d’Ancien Régime: aménagement et décoration, par M. Frédéric Barbier
12 mars,
16h Les bibliothèques d’Ancien Régime: aménagement et décoration (suite), par M. Frédéric Barbier
19 mars
14h Bibliothèques supprimées: les livres des couvents toscans au XVIIIe siècle, par Mme Emmanuelle Chapron
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16h Les bibliothèques d’Ancien Régime: aménagement et décoration (suite), par M. Frédéric Barbier
26 mars,
16h Les bibliothèques d’Ancien Régime: aménagement et décoration (fin), par M. Frédéric Barbier
2 avril
14h  La Méditerranée, "machine à faire des bibliothèques"?, par Mme Emmanuelle Chapron
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16h  Le décor des bibliothèques, XVe-XVIIe siècles, par M. Frédéric Barbier
9 avril pas de conférence (lundi de Pâques)
16 avril pas de conférence (vacances de printemps)
23 avril pas de conférence (vacances de printemps)
30 avril pas de conférence
7 mai pas de conférence
14 mai 
14h Sujet à définir, par Mme Emmanuelle Chapron  
-->
16h Les bibliothèque de la Réforme, par M. Frédéric Barbier, par M. Frédéric Barbier
21 mai, 16h  Les bibliothèque de la Réforme (suite), par M. Frédéric Barbier
28 mai pas de conférence (lundi de Pentecôte)
4 juin, 16h Clôture de la conférence: introduction à la séance foraine, par M. Frédéric Barbier
8 juin Séance foraine (sous réserves)

Le calendrier ci-dessus est donné sous toutes réserves. Les auditeurs sont invités à se faire connaître, de manière à recevoir par courriel les annonces hebdomadaires des conférences.
Les locaux de l’E.P.H.E. à la Sorbonne n’étant pas accessibles par suite de la restructuration du bâtiment, les conférences de l’année universitaire 2011-2012 sont données à l'E.P.H.E., 190 avenue de France, 75013 Paris (1er étage).

mercredi 19 octobre 2011

Montesquieu et l'histoire du livre

Catherine Volpilhac-Auger,
Un auteur en quête d’éditeurs ? Histoire éditoriale de l’œuvre de Montesquieu (1748-1964),
éd. avec la collab. de Gabriel Sabbagh et de Françoise Weil,
Lyon, ENS Éd./ Institut d’histoire du livre, 2011,
448 p., ill., index nominum, index librorum, index des bibliothèques
(«Métamorphoses du livre»).
ISBN 978-2-84788-241-4
Les historiens du livre, et, bien entendu, les historiens et littéraires «dix-huitiméistes», connaissent bien Catherine Volpilhac-Auger, professeur à l’École normale supérieure (Lettres) de Lyon. Catherine Volpilhac-Auger associe depuis longtemps dans ses travaux les problématiques de l’histoire littéraire et de l’histoire des textes, avec celles de l’histoire du livre. Spécialiste de Montesquieu, elle donne ici un exemple encore trop rare de monographie parfaitement documentée sur le corpus d’un auteur que l'on peut réellement dire emblématique (pour une fois, l'épithète vient à sa place).
Connaissant parfaitement les textes mêmes de Montesquieu et la littérature spécialisée, l’auteur convoque pour conduire son étude aussi bien les techniques de la bibliographie matérielle des éditions successives que les documents d’archives notamment conservés en Gironde. L’objectif est celui du texte, le terme d’«éditeur» repris au titre étant d’abord à entendre au sens d’«éditeur scientifique». Mais il s’agit bien d’un travail d’histoire du livre, avec la problématique des imprimeurs et de la diffusion, avec la réception de l’œuvre, avec les rapports entre l’auteur et les professionnels, avec l’économie générale du livre à chaque époque (la librairie périphérique des Lumières; les «libraires parisiens» des dernières années du XVIIIe siècle; le rôle de Bordeaux, surtout à partir de 1889).
La sociologie culturelle et les conditions de la recherche scientifique sont elles aussi prises en considération: on apprécie tout particulièrement la présentation de personnalités comme celle de Henri Auguste Barckhausen, descendant d’une famille de Brême installée à Bordeaux en 1829, professeur de droit, quelques mois préfet de la Gironde en 1871, et éditeur de Montaigne. Reinhold Dezeimeris (cliché ci-contre), fils d’un médecin établi en Dordogne, sera lui-même président de l’Académie de Bordeaux et directeur de la Bibliothèque municipale de cette ville.
Grâce à Catherine Volpilhac-Auger, nous dépassons enfin une «tradition historiographique» qui, en place de recherches proprement scientifiques, «semble avoir jusqu’ici tenu lieu d’histoire à l’édition de L’Esprit des lois» (gageons que le cas se rencontre pour d'autre textes) (p.125), et nous disposons d’un modèle d’étude sur un des corpus de textes majeurs du XVIIIe siècle.

Table des matières
Parlez-vous le Montesquieu?
Première partie. Les premières éditions de L’Esprit des lois: une histoire à relire
Deuxième partie. Un si long sommeil… Manuscrits et éditions de Montesquieu de 1750 à 1889
Troisième partie. Une ère nouvelle (1889-1964).
Maior et longinquo reventia

Annexes, p. 384-431 : «Tableaux comparatifs des corrections présentées par les quatre premiers errata de L’Esprit des lois»; les enseignements des bibliothèques (Bordeaux, La Brède); «Un carton mystérieux»; « Pour une édition critique de L’Esprit des lois»; «Comparaison des tables des matières»; «Tableaux récapitulatifs des envois de corrections et des éditions de L’Esprit des lois (1749-1750)»; «Sur les Œuvres de 1758»; « Comment publier les œuvres de Montesquieu? (Anonyme)» [Bibliothèque municipale de Bordeaux, ms 1990/II (4)]; «Lettre de Raymond Céleste au baron Charles de Montesquieu (1889)»; «Notes sur la publication des œuvres inédites du président de Montesquieu et des documents relatifs à sa biographie (1890)».

dimanche 16 octobre 2011

Une thèse sur l'histoire de la reliure et des bibliothèques

Madame Peggy MANARD,
attachée temporaire d'enseignement et de recherche,
soutiendra sa thèse de doctorat en
Histoire, textes et documents
sur

La bibliothèque du comte d'Artois (1757-1789)

le samedi 22 octobre 2011
à 14h00

La soutenance se déroulera à l’adresse suivante :

Institut National d'histoire de l'art,
2 rue Vivienne, 75002 Paris
Salle Vasari

La soutenance est publique


Le jury est composé de MMes et MM (ordre alphabétique)
Frédéric BARBIER, directeur de recherche an CNRS, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section), directeur de la thèse
Olivier BONFAIT, professeur à l'Université d’Aix-Marseille 1
Emmanuelle CHAPRON, maître de conférences à l'Université d’Aix-Marseille 1
Daniela GALLINGANI, professeur à l'Université de Bologne, doyen de la Faculté des Lettres et littératures étrangères
Dominique VARRY, professeur d'histoire du livre à l'Enssib
Jean-Claude WAQUET, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section), président de l'École pratique des hautes études

vendredi 14 octobre 2011

Qu'est-ce qu'une bibliothèque?

Les questions de vocabulaire (par exemple à propos de «médiathèque») ont à plusieurs reprises retenu l'attention de ce blog, l’évidence d’un mot apparemment reçu de tous masquant souvent la difficulté d’en préciser l’acception exacte. Ainsi du terme de «livre»: sans nous arrêter sur la question de savoir ce qu’est ou ce que n’est pas un «livre », il est bien évident que, dans la formule «histoire du livre», «livre» désigne toutes sortes d’objets qui, au sens propre, ne sont pas des livres (des journaux et périodiques, sans oublier tous les «non-livres», pour reprendre la formule chère à Nicolas Petit (pour une définition possible du «livre», cf Frédéric Barbier, Histoire du livre, 3e éd., Paris, Armand Colin, 2009).
«Bibliothèque» correspond au même modèle: que le terme soit reçu par le sens commun comme une évidence n’empêche nullement qu'il ne reste en définitive relativement flou, surtout à l'ère de la virtualité.
Qu’est-ce qu’une bibliothèque? On le sait, le mot français dérive du grec, et il désigne d'abord le meuble (une armoire), puis le lieu (une salle) où l’on range les livres. Cette acception est celle mise en scène par l’admirable «Lunette de saint Laurent» dans le mausolée de Galla Placidia à Ravenne (2e moitié du Ve siècle) (cliché 1), mais on connaît aussi le portrait de Cassiodore (±480-573) au travail devant ses livres tel qu’il figure en tête du Codex Amiatinus (Bibliothèque Laurentienne de Florence). Le sens commun rejoint cette acception, pour lequel, aujourd'hui, la bibliothèque possède des livres, qui sont toujours en majeure partie des imprimés. Mais les bibliothèques existent avant l’imprimerie, et les bibliothèques contemporaines conservent des manuscrits plus ou moins anciens.
Le parangon de la bibliothèque est donné, en Occident, par le Musée d’Alexandrie, lequel possédait, certes, une immense collection de rouleaux (volumina), mais abritait aussi des objets d’art, et accueillait des chercheurs spécialistes des textes et de leur tradition. Et, depuis toujours, on conserve dans les bibliothèques toutes sortes d’objets qui ne sont pas des livres, ni même parfois des documents écrits, du document d’archives aux objets de curiosités, aux peintures, bustes et sculptures, aux collections de numismatique, sans parler des nouveaux supports (DVD, etc.) et des nouveaux médias...
Le modèle encyclopédique semble réanimé à la Renaissance: la bibliothèque est le conservatoire où l’on trouvera comme un miroir du monde, à travers les livres et les textes, mais aussi à travers d’autres objets qui sont ceux des cabinets de curiosités –un des plus célèbres, en France, est celui de l’abbaye parisienne de Sainte-Geneviève au XVIIe siècle. Et ce modèle se perpétue encore avec la fondation du British Museum (1753), puis, d’un certain nombre de «Musées nationaux», dont la Bibliothèque nationale constituera longtemps un simple département (par ex. en Hongrie au tout début du XIXe siècle). 
La richesse des fonds n’est pas non plus, dans l'absolu, un critère suffisant pour caractériser une bibliothèque (au XVe siècle, une bibliothèque de 2000 titres constitue un ensemble d’une richesse exceptionnelle, alors qu’elle semblera négligeable aujourd’hui). Il en va de même avec le statut de l’institution (bibliothèque privée, semi-publique, encyclopédique, spécialisée, etc.), et avec ses conditions de fonctionnement et son accessibilité… Mais passons au XVIIIe siècle, et ouvrons l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, article BIBLIOTHEQUE: Selon le sens littéral (…), ce mot signifie un lieu destiné pour y mettre des livres. Une bibliothèque est un lieu plus ou moins vaste, avec des tablettes ou des armoires, où les livres sont rangés sous différentes classes: nous parlerons de cet ordre à l’article CATALOGUE.
Le sens littéral est en effet toujours fondé sur l'idée de «lieu», mais l’Encyclopédie introduit une autre notion, qui nous semble d’importance: les livres doivent faire l’objet d’un traitement, dont on peut imaginer qu’il concerne la politique des acquisitions, le classement bibliographique (en général dans un cadre systématique) et topographique (l’ordre des livres sur les rayons), les outils de mise à disposition (catalogues de différents types), etc. Dans sa définition implicite, la bibliothèque fonctionne ainsi comme une structure de rassemblement, d’organisation et de mise à disposition du savoir. C’est la double articulation, de l’espace physique et du contenu abstrait qui caractérise la bibliothèque moderne.  
Patrick Bazin ne dit pas autre chose, en s'attachant au point de vue plus professionnel qui est celui du bibliothécaire: Une bibliothèque (…) est une organisation du savoir qui fonctionne comme un bassin de décantation où la plus extrême diversité des publications se trouve passée au crible d’une superposition de filtres (…): l’agencement des salles, le classement en rayons, les fichiers, les thesauri, etc. À la surface: les ouvrages de référence, synthétiques, consensuels et pérennes; dans les tréfonds: les productions les plus singulières, les moins orthodoxes, les plus difficiles à trouver et à obtenir aussi; entre les niveaux extrêmes: un étagement et une répartition des connaissances sous-tendus par une conception encyclopédique du monde. Cette définition appuyée sur la double articulation, de l'interface physique (le lieu) et du contenu abstrait, nous semble fondamentale, au moins jusqu'aux années 2000 -nous y revenons dans un instant. Mais rappelons d'abord que, bien entendu, le terme français de «bibliothèque» est susceptible de prendre un certain nombre d’autres acceptions plus secondaires: surtout depuis le XVIe siècle, la bibliothèque désignera le cas échéant une institution (la Bibliothèque du Roi, plus tard la Bibliothèque nationale, etc.). Le glissement vers le contenu des livres est devenu plus rare, mais il est apparemment plus ancien: l’Ancien Testament est considéré comme une «bibliothèque», de même que les poèmes homériques, dans la mesure où ce sont des textes qui sont censés contenir toute l’expérience humaine. Au XVIIIe siècle, «on donne aussi le nom de bibliothèque à la collection même des livres». Par suite, le terme s’appliquera le cas échéant aussi à une collection éditoriale (la « Bibliothèque verte », de la maison Hachette au XIXe siècle), voire à un ensemble de textes mis à disposition du lecteur par le biais d’Internet. Il s’agit dans ce cas des «bibliothèques virtuelles», mettant à disposition du texte numérisé (du type de Gallica pour la Bibliothèque nationale de France). Une des innovations majeures de la virtualité concerne dès lors le fait que la bibliothèque n’est plus liée à un lieu physique, mais qu’elle est accessible à tous (tout au moins à tous ceux qui peuvent se connecter efficacement...) sans qu’il soit nécessaire de se déplacer et dans les condition en principe les plus souples possible. Ces perspectives soulèvent un certain nombre de problèmes, sur lesquels nous souhaiterions revenir dans un prochain billet.
Clichés: 1) Ravenne, lunette de Saint-Laurent; 2) Bibliothèque de la cathédrale du Puy: fresque représentant la Rhétorique; 3) Bibliothèque nationale de Danemark, Copenhague.

lundi 10 octobre 2011

Histoire du livre et virtualité

La constitution de sa documentation est une question évidemment capitale pour le chercheur en histoire du livre. Nous n'abordons pas aujourd'hui la question de la problématique, mais il est bien évident qu'elle est toujours présente en arrière-plan.
À côté de la bibliographie et des sources traditionnelles (exemplaires imprimés, sources d’archives, iconographie, textes littéraires, objets matériels comme des machines, des meubles, des immeubles, etc., toutes sources pour lesquelles Internet aussi doit être sollicité), il est devenu indispensable d’envisager la problématique des nouveaux médias.
En effet, la numérisation des exemplaires conservés de livres se développe toujours plus, et elle apporte des possibilités et des commodités incomparables de travail –par exemple pour identifier ou consulter un certain texte, ou encore pour comparer différentes éditions entre elles. Une des conséquences de cet essor concerne d’ailleurs la déconstruction de la bibliothèque au sens traditionnel du terme: la bibliothèque était ce lieu où se rencontraient les supports d’informations et les lecteurs; désormais, les lecteurs n’ont plus besoin systématiquement de se déplacer, et la bibliothèque virtuelle tend à se substituer à l’institution de la bibliothèque, ce qui n’est pas sans poser à celle-ci des problèmes de gestion parfois difficiles.
Mais une autre conséquence intéresse directement l’historien du livre: ce que transmet la bibliothèque virtuelle, c’est une reproduction du contenu du livre (du texte) par le biais d'une nouvelle interface. Or, nous savons que le texte en tant que «texte à lire» change d’un support à l’autre, tandis que la reproduction numérique fait en partie disparaître tout ce qui relève du contexte: le fonds auquel appartenait l’exemplaire reproduit, ou encore certaines marques d’usage, etc. La comparaison familière à l’historien du livre montre que nous sommes devant un processus de translittération, autrement dit de copie des anciens contenus sur des supports nouveaux, processus analogue dans son principe à celui du passage du volumen au codex, ou encore du manuscrit à l’imprimé. Les biais sont très importants, et il faut en avoir conscience.
La virtualité a un autre effet que l’on jugera quelque peu paradoxal: il s’agit de la sanctuarisation à laquelle sont de plus en plus soumis les originaux, les volumes eux-mêmes. Il devient en effet difficile d’avoir accès à un document original dès lors que celui-ci est numérisé, et cette difficulté s’accroît pour devenir presque insurmontable si l’exemplaire se trouve conservé dans une réserve (du type «Réserve des livres rares et précieux»).
Certaines pratiques imposées le cas échéant au lecteur relèvent d’ailleurs de la mise en scène, comme le fait de devoir mettre des gants (si possible blancs) pour manipuler certains livres: il s’agit de manifester la sacralité de l’objet, qui n’est plus utilisé pour lui-même et en tant que support d’un message, ou en tant qu’objet d’histoire, mais en tant qu’objet spécifique dont le premier et souvent unique caractère est celui de la rareté –ou de la rareté supposée. Rien de plus logique pourtant que cette théâtralité: le livre ancien, désormais partout disponible sous sa forme virtuelle, devient un objet étrange, voire étranger, sous sa forme matérielle.
Or, il est bien évident que l’historien du livre a affaire avec des livres en tant qu’objets: les livres forment un tout, dans lequel le contenu abstrait est indissociable d’une certaine forme matérielle. Le format, la typographie, la mise en page, l’illustration et tous les éléments relevant du paratexte contribuent à la constitution du message que le lecteur pourra (ou non) s’approprier.
Il est donc capital d’être sensibilisé au bon usage de la documentation: les fichiers numériques enrichissent infiniment la documentation disponible et permettent de gagner énormément de temps, mais il convient toujours de les contextualiser et de ne pas considérer qu’ils épuisent les sources. L’historien en général, et l’historien du livre en particulier, aura le cas échéant d’autres questions à poser auxquelles les reproductions numériques ne répondent pas, et pour lesquelles le recours à l’objet et la comparaison des objets restent indispensables.
On a coutume de dire que la bibliothèque est le laboratoire de l’historien, et ce laboratoire a connu dans les dernières décennies une dilatation et un enrichissement presque infinis. Pour autant, la démarche reste la même: les chercheurs réunissent les informations sur leur objet de recherche, mais ils doivent les critiquer et les exploiter en fonction de cet objet même, et c’est cette deuxième phase qui constitue les «informations» en «documents» d’histoire. Les données fournies par l’informatique n’échappent pas à la règle.

vendredi 7 octobre 2011

Le luthéranisme, le Livre et les livres

Pour la Réforme luthérienne, la Bible est la référence absolue: il convient donc de pousser à la lecture de la Bible, notamment en privé, et donc de promouvoir une alphabétisation la plus large possible. C’est dans ce but qu’un certain nombre de villes passées à la Réforme vont promouvoir le système des bibliothèques de communauté (Gemeindebibliothek), très souvent liées aux écoles, mais qui préfigurent aussi les bibliothèques municipales.
Alors qu’il est de retour à Wittenberg après le séjour à la Wartburg, Luther publie en 1524 une adresse aux Magistrats de toutes les villes allemandes (cliché 1) pour les engager à créer des écoles pour tous les enfants, filles et garçons, et à renouveler complètement le fonds de livres mis à leur disposition.
Le canon bibliographique nouveau est fondé d’abord sur la Bible (dans les trois langues bibliques, mais aussi en allemand et dans les autres langues modernes) et sur les commentaires de la Bible; il exclut un certain nombre de domaines, comme les Pères de l’Église ou encore le droit canon; mais il s’étend désormais plus largement au savoir profane, à la grammaire, aux classiques et aux traités spécialisés, par exemple sur la médecine. L'avance de l'Europe protestante en matière d'alphabétisation, voire de formation scolaire, trouve son origine dans ces prises de position.
Luther est vigoureusement aidé dans cette voie par Philippe Schwarzerd dit Mélanchton (1497-1560), personnalité relativement moins connue en France que dans l'espace germanophone et en Europe centrale. Originaire du Palatinat et très vite réputé sa connaissance du grec, Mélanchton est appelé en 1518 par le duc Frédéric le Sage pour enseigner cette langue à Wittenberg. Il est convaincu de l’importance morale de la formation intellectuelle, se forme à la théologie auprès de Luther, mais intervient dans toutes sortes de disciplines, du grec à l’histoire et à l’astronomie.
L’influence du «précepteur de la Germanie», est immense: Mélanchton publie lui-même un grand nombre de manuels pédagogiques, et son enseignement attire de nombreux étudiants allemands et étrangers à Wittenberg.
Fréquemment, les nouvelles écoles protestantes créées dans les villes prennent la suite d’anciennes écoles latines, y compris s’agissant de la bibliothèque. Les collections de livres sont en revanche considérablement augmentées par suite de la sécularisation des biens d’Église décidée par les princes et les villes passés à la Réforme. À Augsbourg, métropole de la Réforme dans le sud de l’Allemagne, le Magistrat décide ainsi, en 1537, d’ouvrir une Stadtbibliothek (Bibliothèque de la ville) à partir des collections sécularisées, et de consacrer un budget annuel de 50 florins pour son enrichissement. La bibliothèque est d’abord installée aux Dominicains, puis transportée près de l’école Sainte-Anne (1562), dont le recteur fait désormais office de bibliothécaire.
C’est ce modèle qui est importée par Johann Honter à Kronstadt (Brasov), ville peuplée par les Saxons allemands aux confins orientaux de la Transylvanie (clichés 2 et 4: bâtiment ayant succédé à l'ancienne bibliothèque, et aujourd'hui en attente de rénovation). Honter est né en 1498 à Kronstadt; de 1520 à 1533, il fait des études supérieures et voyage à l’ouest, notamment à Bâle (Bâle vient de passer à la Réforme et de chasser son évêque en 1527). Durant ce long périple, le royaume de Hongrie a été détruit par les Ottomans (1526), de sorte que la Transylvanie est désormais une principauté pratiquement indépendante, mais isolée à l’est de l’Europe.
Mais l’influence de Mélanchton touche aussi la Transylvanie, et 227 étudiants transylvains fréquentent d'ailleurs l’université de Wittenberg jusqu’en 1560. Rappelé par le Magistrat de Kronstadt en 1533 pour réorganiser les écoles en ville, Honter met en œuvre le modèle luthérien. Il crée dès 1534 une bibliothèque scolaire (Schulbibliothek), pour laquelle il commence lui-même à imprimer sans doute en 1539. Il correspond régulièrement avec Mélanchton, et onze éditions de Mélanchton sortent en Transylvanie entre 1548 et 1570, dont huit à Kronstadt et les trois autres Klausenburg (Cluj) (cliché 3).
L’école de Kronstadt, abritée dans le cloître de l’église, est installée dans un nouveau bâtiment en 1541. L’année suivante, alors que Buda est tombée aux mains des Ottomans, la ville franchit le pas et passe à la Réforme: Honter est nommé pasteur de la nouvelle communauté en 1544. C’est cette communauté, associant église réformée, école et bibliothèque (un temps aussi imprimerie) qui existe toujours aujourd’hui sous le nom de son premier pasteur (Honterusgemeinde).
Hic fuit bibliotheca scholæ Coronensis- Johannes Honterus- 1547


Martin Luther, An die Ratsherren aller Städte deutsches Landes, daß sie christliche Schulen aufrichten und halten sollen, Wittenberg, [M. Lotter, ou L. Cranach et C. Döring ?], 1524.

mardi 4 octobre 2011

Le prototypographe de Buda

Au milieu du XVe siècle, le royaume de Hongrie s’est imposé comme l’une des puissances politique majeures en Europe. La dynastie des Hunyadi a pris la tête de l’État, l’apogée étant marquée par le règne de Matthias Hunyadi (1458-1490), mieux connu sous son surnom de Mathias Corvin. La cour royale est devenue un pôle de la Renaissance européenne, avec la célèbre Bibliotheca Corviniana: il s’agit d’une bibliothèque importante (peut-être deux mille volumes), et d’une bibliothèque humaniste, particulièrement riche dans les deux domaines de la littérature antique et de la philosophie. En même temps, la Corviniana est une bibliothèque princière, pratiquement toute constituée de somptueux manuscrits.
Pourtant, en dehors de la cour, la ville même de Buda connaît elle aussi une période de grande prospérité: les marchands allemands et italiens y sont en nombre et, en 1473, un premier imprimeur s'y installe, en la personne d’Andreas Hess. Hess est un émigré allemand, un de ces typographes itinérants appelés dans telle ou telle ville par l’espoir du gain.
Nous en sommes réduits aux suppositions quant à son cursus avant son arrivée à Buda, mais la décision a pu être prise à Rome. Lázló Karai, vice-chancelier du royaume est en effet envoyé comme ambassadeur à Rome (1470), où il entre en relations avec les humanistes gravitant autour de l’imprimerie de Georg Lauer, de Ratisbonne. C’est là qu’Andreas Hess aurait travaillé, et c’est là que Karai l’aurait persuadé de faire l’essai du nouvel atelier typographique sur les bords du Danube.
Hess donne en effet en 1473 à l’adresse de Buda une célèbre Chronique des Hongrois, en latin et dans un caractère typographique que l’on rencontre chez Lauer (Chronica Hungarorum: GW 6686). L’ouvrage est dédié au vice-chancelier, protonotaire apostolique et prévôt de l’église de Buda. Cette publication sera suivie d’un volume comprenant le De Legendis libris gentilium de Basile le Grand et l’Apologie de Socrate de Xénophon dans la traduction latine de Leonardus Brunus Aretinus –une production par conséquent destinée a priori à des milieux humanistes.
Hess aurait été installé en arrière de Saint-Mathias, au n°4 de la place qui porte aujourd'hui son nom (clichés 2 et 3. Hongr. Ter = Place).
Malheureusement, nous perdons très vite la trace du prototypographe, qui s’est sans doute heurté à des difficultés matérielles trop grandes (ne serait-ce que pour se fournir en papier à un coût raisonnable), et qui n’a pas trouvé dans la capitale du royaume le marché qui lui aurait permis de poursuivre son activité. Pourtant, il est vraisemblable qu’un second atelier a existé à Buda de 1477 à 1480, atelier désigné sous le nom d’«Imprimeur du Confessionale» (Antoninus Florentinus, 1477: GW 2108) et dont le matériel typographique se rapproche de celui de Mathias Moravus (Mathias d’Olmütz), alors à Naples. Cet atelier disparaît apparemment après trois ans.
Buda marque donc dans l’absolu une avance certaine en matière de géographie typographique sur les autres villes à l’est de Prague. La technique nouvelle de la typographie en caractères mobiles apparaît à Cracovie en 1474, et à Vienne en 1482, avec l’atelier de Stefan Koblinger. Koblinger, qui semble originaire de Vienne même, travaille à Vicence en 1479-1480, avant de revenir dans sa ville natale. Un second imprimeur s’y établira seulement en 1510, en la personne de Hieronymus Vietor, qui vient quant à lui de Cracovie.
Mais la géographie de l’Europe centrale en cours de construction à la fin du XVe siècle est brisée par l'invasion ottomane: à la suite de la bataille de Mohács (1526), le royaume de Hongrie disparaît, la Hongrie royale ne correspondant plus qu’aux territoires regroupés autour de Presbourg, tandis que la Transylvanie devient une principauté vassale de Constantinople. Pour quelque cent cinquante ans, Vienne prend désormais presque la figure d’une ville frontière, constamment soumise à la menace ottomane.

Chronica Hungarorum, préf. E. Soltész, Budapest, 1972 [fac–sim. de l’éd. Buda, Andreas Hess, 1473]. György Kokay, Geschichte des Buchhandels in Ungarn, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1990 (donne la bibliographie complémentaire).
Sur l’histoire de l’imprimerie en Hongrie sous l’Ancien Régime: Judit V. Ecsedy, A Könyvnyomtatás Magyarországon a kézisajtó korában, 1473-1800, Budapest, Balassi Kiadó, 1999.

dimanche 2 octobre 2011

En Hongrie: le rôle des magnats

Le rôle de la haute noblesse hongroise à l’époque des Lumières et de la révolution industrielle semble relativement spécifique par rapport à la situation ailleurs en Europe continentale.
Le trône de Hongrie est en effet occupé par un Allemand, l'empereur Habsbourg, à Vienne, sous la bannière duquel les Ottomans ont été chassés et qui a réussi, au début du XVIIIe siècle, a briser les velléités d’indépendance de la Transylvanie. À la tête de très grandes fortunes, les magnats hongrois, ont conservé un rôle important dans les domaines de la culture et de la religion. Ils ont souvent fait des études dans les universités occidentales, réunissent des bibliothèques parfois très riches et s’imposent comme les acteurs-clés de la modernisation économique, avant de participer activement, au XIXe siècle, au mouvement en faveur de l’autonomie ou de l’indépendance. Parmi ces familles, celle des comtes Széchényi occupe une place remarquable.
Ferenc (Franz) Széchényi (1754-1820) a fait ses études au Theresianum de Vienne et a deux années durant visité d'Europe occidentale. À son retour, il a compris le rôle décisif qui est celui de l'imprimé comme média de la modernisation. Il crée alors deux bibliothèque, dont celle de son château de Nagycenk, en Hongrie occidentale: surtout des titres «modernes» (économie, politique, etc.) et de la littérature en hongrois (1799), outre des collections de numismatique et de minéralogie. Il en fait réaliser un catalogue imprimé (1799), qu’il diffuse pour mettre son fonds à la disposition de ses contemporains.
Puis, trois ans plus tard, Széchényi obtient de Vienne l’autorisation de faire don de ses collections à l’Académie, sous la forme de Bibliotheca regnicolaris -future Bibliothèque nationale. La formule peut surprendre: elle est en réalité très bien adaptée au caractère multiculturel du royaume de Hongrie, en ce qu’elle fait référence aux catégories politiques (ungarus) et non pas aux particularismes des différentes composantes (dont les Magyars). La loi de 1808 institue la Bibliothèque comme un département du nouveau Musée national. À la mort de Ferenc Széchényi, les collections sont relativement modestes (vingt mille documents, dont six mille cartes géographiques), mais elles s’enrichissent au XIXe siècle d’un grand nombre d’autres bibliothèques de magnats, dont celle du comte István Illésházy donnée en 1835.
Mais la figure principale est, à la génération suivante, celle d’István Széchenyi. Celui-ci poursuit en effet systématiquement, sa vie durant, une action d’innovateur et de passeur culturel visant à favorisant la modernisation de la Hongrie. Il publie lui-même, sur l’élevage des chevaux (1828), sur la situation de la Hongrie de son temps (1831, 1833), sur le crédit (1832); il participe au lancement de compagnie de navigation à vapeur sur le Danube, fait entreprendre d’immenses travaux de régulation du fleuve dans la plaine hongroise, fonde la société pour la construction d’un premier pont entre Buda et Pest (le célèbre Pont des chaînes) et participe activement à la création de la Banque nationale de Hongrie.
Ministre des transports dans le Gouvernement indépendant du comte Batthyány en 1848, Széchényi, après l’écrasement de la Révolution et la répression sanglante imposée par Vienne, sera interné à Döbling, en Autriche, où il se suicidera en 1860. Sept ans plus tard, la défaite de l’Autriche dans la guerre contre la Prusse impose à Vienne d’adopter une politique nouvelle avec la Hongrie: par le Compromis de 1867, le royaume devient très largement autonome, et l’appellation traditionnelle d'Autriche laisse place à celle, nouvelle, de la monarchie bicéphale d’Autriche-Hongrie.
Quittons un instant le monde du livre: Ödön (Edmond) Széchényi, fils d'István, est également connu comme un promoteur de la navigation: il est célèbre en France pour être venu dans son propre yacht de Budapest à Paris par voie fluviale à l'occasion de l'Exposition de 1867!

Catalogus Bibliothecae hungaricae Francisci com[itis] Szechenyi. Tomus I scriptores hungaros et rerum hungaricarum typis editos complexus, pars I [II], Sopron, Typis Siessianis, 1799, 2 vol.

Cliché: une image inattendue d'István Szechényi près du Parlement à Budapest aujourd'hui.