lundi 27 septembre 2010

HIstoire des almanachs et transferts culturels à l'époque des Lumières

L'université de Marburg organise une rencontre interdisciplinaire consacrée à "La culture des almanachs en français dans l'espace germanophone (1700-1815)". Les responsables du programme d'étude sont les Pr. York-Gothart Mix (Marburg) et Hans-Jürgen Lüsebrink (Sarrebruck).

En effet, le XVIIIe siècle a vu la parution d'un nombre non négligeable de publications périodiques en français réalisées à l'étranger, notamment dans les pays allemands. Leur typologie est très complexe, qui juxtapose par exemple le Nouvelliste politique d'Allemagne et l'Almanach de la Cour de S.A.S.E. de Cologne (publié à partir de 1719), ou encore les différents titres académiques publiés en Hesse (Cassel), en Hanovre (Göttingen) et en Saxe (Gotha), voire un genre comme celui de l'Almanach des dames avec ses multiples variantes tant en français qu'en allemand. L'Almanach de Gotha est directement publié en français, et constitue comme le répertoire biographique des cercles du pouvoir dans les différents États. Son succès est européen.
On voit combien le terme même d'almanach (dont la traduction classique allemande est donnée par Calender) peut être ambivalent, puisqu'il oppose notamment un modèle de cour dont le prototype est peut-être à rechercher dans l'Almanach royal à Paris et à Versailles, et progressivement un modèle moins "distingué", que l'on a longtemps et faussement défini comme "populaire" mais qui fonctionne en réalité comme un véritable paradigme aux multiples déclinaisons. Cette polysémie perdure au XIXe siècle, sinon plus tard.
L'étude de l'almanach de cour met en évidence l'importance de la fonction de représentation, dans une perspective inspirée à la fois de Jürgen Habermas et de Pierre Bourdieu. Pourtant, la représentation n'est pas tout, et l'almanach s'impose aussi comme cet usuel qui détaille les rouages de l'administration et qui constitue avant la lettre comme le Who's who de toutes les personnalités "qui comptent", par exemple dans le royaume de France. En réalité, il doit aussi être analysé comme un exceptionnel outil au service de la rationalité et de la modernité de l'administration. L'exemple de l'électorat de Palatinat constitue presqu'un cas d'école, puisqu'il fait paraître parallèlement deux almanachs officiels, le premier en allemand, le second en français (ce dernier sous le titre d'Almanach électoral palatin).Sans parler de l'Almanach de la loterie électorale...
Aborder les almanachs dans une perspective comparatiste permet de faire à nouveau ressortir le rôle central des intermédiaires culturels que sont les éditeurs et libraires de fonds, mais aussi leurs commanditaires (par exemple dans les milieux de cour), les rédacteurs, les auteurs, éventuellement les traducteurs, etc.
D'une manière générale, la conjoncture spécifique qui est celle des pays germanophones au XVIIIe siècle détermine puissamment le genre: l'almanach pourra paraître chose de la cour et de certaines élites, surtout s'il est en français, à une époque où les intérêts d'une grande partie des lecteurs allemands se tournent de plus en plus vers la problématique de la langue et de la littérature nationales.
La situation qui s'imposera avec la Révolution de 1789 donnera bientôt à certains l'opportunité de faire passer des messages au contenu politique plus marqué -et le rôle des femmes aussi change alors profondément, comme le montre la juxtaposition des titres l'Almanach des dames et de l'Almanach de la citoyenne. Le rôle de la noblesse est lui aussi déplacé à partir de cette époque: la Révolution française ne détruit pas la noblesse, mais elle fait passer celle-ci du statut d'ensemble des seigneurs à celui de groupe de grands notables et de notables susceptibles de s'agréger des personnalités aux origines les plus variées.
Bien d'autres questions reste posées, qui concernent par exemple les almanachs non pas produits en Allemagne, mais éventuellement importés de France ou des autres régions francophones. Nous croyions la problématique relative aux almanachs relativement bien connue: le colloque de Marburg vient à point pour nous rappeler qu'il n'en est rien, mais aussi pour enrichir nos connaissances sur un sujet qui reste toujours actuel. L'almanach, surtout dans la configuration ici évoquée, d'une publication en français produite ou circulant en Allemagne, fonctionne comme un média qui informe puissamment l'historien sur son environnement et sur les représentations qu'il supporte et qu'il véhicule.
Informations sur le colloque (et bibliographie en allemand): Histoire du livre: les almanachs
Quelques clichés sur Marburg et sur les participants du colloque: Histoire du livre à Marburg

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