vendredi 25 juin 2010

Une structure originale

Le Musée des lettres et manuscrits, à Paris, est une institution originale en France, puisqu'il s'agit d'une structure privée, fondée et fonctionnant avec le soutien d'un certain nombre d'investisseurs.
L'objectif est de réunir un ensemble de manuscrits - lettres et autres documents autographes, dessins, mais aussi livres manuscrits, le cas échéant imprimés, etc. La grande presse s'est fait l'écho d'un certain nombre d'acquisitions spectaculaires récentes, parmi lesquelles le Testament politique de Louis XVI, retrouvé aux États-Unis, mais le Musée possède aussi le Manifeste du surréalisme rédigé par André Breton, des lettres de Napoléon Ier, des poèmes manuscrits de Rimbaud et de Verlaine, le manuscrit de la Théorie de la relativité d'Eisntein...
Aujourd'hui, les quelque 60000 pièces conservées dans l'immeuble du 222 boulevard Saint-Germain sont présentées par roulement dans le Musée. Le plus ancien document est une charte de Corbie datée de l'époque carolingienne.
L'historien du livre trouve beaucoup à glaner au Musée des lettres et manuscrits, comme le montre l'exposition inaugurale (présentée jusqu'au 29 août 2010) sur "Marcel Proust, du Temps perdu au Temps retrouvé". On y découvre un certain nombre de pièces provenant de l'auteur de la Recherche, des épreuves corrigées (À l'ombre des jeunes filles en fleurs) et bien entendu des exemplaires de différentes éditions de ses livres, exemplaires enrichis la plupart du temps de particularités remarquables.
Autour de Marcel, c'est toute une partie du "monde" parisien des années 1900 qui surgit: les mondains, à commencer par les familles de certains camarades du prestigieux Lycée Condorcet. La mère de Jacques Bizet, veuve du compositeur de Carmen, jouera un rôle essentiel pour Proust, surtout après son remariage avec l'avocat Émile Straus. L'exposition qui vient de se clore au Musée Marmottan nous a fait toucher un autre pan de ce même monde, celui des "femmes-peintres", et de la première d'entre elles, Madeleine Lemaire ("Femmes peintres et salons au temps de Proust").
Mais revenons boulevard Saint-Germain. Les documents proposés au fil des vitrines mettent en évidence certains aspects de la manière de travailler de l'écrivain - nous les connaissions, mais il est toujours émouvant d'en retrouver des témoignages souvent inconnus. Ainsi, sa correspondance est-elle truffée de demandes d'informations sur tel ou tel sujet, informations qui lui serviront à enrichir son texte. Surgit aussi son souci constant de pouvoir se faire éditer, et de contrôler aussi loin que possible les conditions matérielles de l'édition. Une manière, encore, d'échapper au temps en se survivant à soi-même, comme le souligne ce passage d'une lettre à l'éditeur Bernard Grasset:
"Il est assez habituel qu'avec l'instinct de l'insecte dont les jours sont comptés, je me hâte de mettre à l'abri ce qui est sorti de moi et me représentera..."
Donc, indiscutablement, le Musée constitue une entreprise originale et riche. Elle pose cependant plusieurs questions auxquelles l'historien du livre sera sensible. D'abord, il s'agit évidemment d'une collection, au sens archivistique du terme, et non pas d'un fonds ou d'un ensemble de fonds: il faut demander au Musée ce qu'il est en mesure de proposer, c'est-à-dire des documents isolés, souvent remarquables, ou des ensembles de documents qui viendront enrichir une documentation plus large réunie par le chercheur sur le sujet sur lequel il travaille. La deuxième question est celle du statut du patrimoine et de sa politique de valorisation. Enfin, l'entreprise du Musée privé soulève bien sûr en filigrane la question de sa propre pérennité, et de ses rapports avec ceux qui la financent.
Mais nous ne pouvons globalement que nous réjouir de voir réuni et présenté à Paris un ensemble aussi riche de pièces aussi remarquables, voire souvent extraordinaires.

Le Musée, dirigé par Pascal Fulacher, lui-même titulaire du doctorat (avec une thèse d'histoire du livre), publie une Lettre (La Lettre du Musée des lettres et manuscrits), des catalogues de ses expositions et un certain nombre d'autres titres.
Le Magazine Plume, trimestriel, traite des manuscrits et des livres d'une manière générale, et propose aussi une partie d'"actualité de l'écrit".
Plus d'informations sur le site: http://www.museedeslettres.fr/public/

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire