mardi 4 mai 2010

Révolution dans les médias, ou: ce qu’il y a derrière les mots

Le prochain Forum sur le papier électronique (@Paperworld) organisé par Éric Le Ray et EPC@Partners aura lieu à la Cité des sciences et de l’industrie (Paris) les 6 et 7 mai 2010.

Éric Le Ray, docteur de l'École pratique des hautes études (Conférence d'Histoire et civilisation du livre), est un spécialiste de l'histoire de l'innovation dans le domaine du livre et des médias. Il a créé au Canada la société EPC@Partners, qui travaille à la recherche-développement sur les nouveaux médias et sur leurs supports.
Le «papier électronique» constitue probablement l'un des changements techniques majeurs de notre tournant de millénaire, et EPC@Partners organise depuis plusieurs années des manifestations scientifiques et des présentations sur ce thème. Parmi les choix intellectuels les plus porteurs qui sous-tendent cette action figure celui d'articuler le plus étroitement possible la perspective historique, l'analyse de la situation actuelle et la prospective.
La théorie des «Trois révolutions du livre» marque le point de départ de la démarche. Elle a été exposée à l’occasion du colloque de Lyon / Villeurbanne de 1998 (éd. sous la dir. de Frédéric Barbier, Genève, Droz, 2000, 443 p., index, ill.), et a inspiré l’exposition du CNAM en 2002 (éd. sous la dir. d'Alain Mercier, Musée du CNAM et Imprimerie nationale: cf cliché). Après douze ans, il est utile à la fois de revenir sur les acquis scientifiques et de recadrer la problématique de cette théorie, en fonction, notamment, des avancées de la technologie contemporaine.
Du côté positif, mentionnons d’entrée le fait que, avec le comparatisme des «révolutions», la perspective historique s’est imposée comme un impératif pour toute réflexion scientifique sur le livre et sur les médias aujourd’hui. Ce choix épistémologique implique de redéfinir les médias comme désignant globalement non pas simplement les médias dits «de masse» mais, selon la formule de Henri-Jean Martin, «les systèmes sociaux de communication». Autrement dit, à chaque civilisation son faisceau de «médias», et à chaque période un équilibre éventuellement changeant entre ceux-ci.
Sans revenir sur le rôle de l’oralité (envisagée par ex. par Françoise Waquet dans son étude Parler comme un livre, Paris, Albin Michel, 2003), l’historien du livre occidental ne peut qu’observer les mutations du média dominant depuis le XVe siècle: les «nouveaux médias» aujourd’hui, la télévision et la radio il y a peu, la presse périodique de masse au XIXe siècle, les périodiques et les plaquettes au XVIIIe , les imprimés au sens large depuis le XVe.
On ne peut qu’être étonné en constatant par exemple que la controverse dramatique sur le jansénisme est en définitive lancée par la publication d’un énorme traité, qui paraîtrait aujourd’hui bien indigeste (plus de 1000 pages sur deux colonnes en latin…), l’Augustinus, à Louvain en 1640. D’une part, les textes sont indissociables de leurs supports matériels, de l’autre, cette configuration s’articule chaque fois avec une configuration socioculturelle bien déterminée.
Par ailleurs, la recherche apporte des éléments de connaissance sur les logiques et sur les rythmes du changement: la formule des «trois révolutions» présente l’avantage… de la médiatisation, mais elle suppose d’être précisée. La statistique de la production imprimée témoigne de ce qu’il s’est effectivement produit dans le domaine de l'imprimé des changements majeurs d’échelle, des «révolutions», à certaines périodes (par ex. au XVe siècle en Europe). Mais une analyse plus fine de ces phénomènes amène aussi à mieux appréhender leur logique de développement.
En effet, les rythmes propres de l’innovation technologique ne sont pas tout (par ex., le processus de l’invention de Gutenberg). En amont, il est impératif de prendre en compte l’élargissement du marché potentiel (celui de la lecture aux XIVe et XVe siècles) et les différentes voies explorées pour répondre à cet élargissement, avant que le déséquilibre ne devienne trop flagrant. Mais le processus se prolonge en aval: avec un changement technique majeur comme celui des années 1450, c’est toute une branche d’activité nouvelle qui se met en place, en articulation avec l’émergence du marché lui-même nouveau lui correspondant. La typologie de l’innovation, innovation de procédé, puis de produit, puis d’organisation et de «consommation», offre une des voies les plus intéressantes pour développer l’analyse des prolongement de l’invention, et d’un certain nombre de ses conséquences… jusqu’au prochain déséquilibre et à la prochaine «révolution».
Ce sont là différents points sur lesquels les travaux du prochain Forum de Paris devraient permettre d’avancer, dans la perspective propre qui est celle de cette manifestation.
 
Bibliographie indicative
Frédéric Barbier, L’Europe de Gutenberg. L’imprimé et l’invention de la modernité occidentale, Paris, Librairie Belin, 2006, 364 p., ill. («Histoire & société»).
Frédéric Barbier, Catherine Bertho Lavenir, Histoire des médias, de Diderot à Internet, 3e éd., Paris, Armand Colin, 2003 («Collection U»). Ouvrage traduit en chinois, espagnol, grec, hongrois, italien et turc. 4e éd. en préparation.
Jean-Dominique Mellot, «Qu’est-ce qu’un livre? Qu’est-ce que l’histoire du livre?», dans Histoire et civilisation du livre. Revue internationale, 2, 2006, p. 4-18, ill.

Le programme du Forum («Programme détaillé du Forum») est disponible à l'adresse:
http://online.fr.milibris.com/epc/e-paperworld-programme/2010/

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